Publié aux États-Unis pour la première fois en 1953, le roman de Harry Grey, intitulé The Hoods,connaît un succès relatif aux USA avant de devenir culte avec son adaptation au cinéma. L’œuvre est enfin traduite en français.

Pour beaucoup de cinéphiles, cette histoire d’enfants devenus des chefs mafieux est une madeleine de Proust. Une madeleine de Proust, pas tout à fait, car jamais un souvenir marquant n’avait autant eu le goût du sang, de la poudre à canon et du whisky frelaté. Point de face lumineuse de l’American Dream alors que toute la misère européenne déferle via Long Island. Les immeubles du Lower East Side sont pourris, les chambres sans fenêtres, les repas sans galette et les coups de matraque sans sommations. Noodles et sa bande arrivent à la conclusion que le monde est véreux. L’école ne leur servira à rien. Alors entre petits jobs et fric-frac, leur apprentissage se fait dans la rue, au contact de la violence et à l’heure de la Prohibition, de l’opium et du Syndicat du crime. Noodles, Max, Cockeye, Patsy, Dominick, sont des gamins élevés aux mythes du Far West jouant au shérif et aux cow-boys dans les rues de New York. Ces délinquants juvéniles, ces Peter Pan tueurs, armés de sulfateuses, fascinent Sergio Leone dès la sortie du livre tandis que celui-ci avance dans une carrière de réalisateur de Western et rencontre Harry Grey à plusieurs occasions.

Dans la préface, Sergio Leone déclare vivre aux côtés de ces personnages romanesques depuis longtemps. L’autobiographie du petit gangster juif apparaît au réalisateur « comme un symbole éloquent et cruel de cette Amérique très spéciale qui, magiquement suspendue entre le cinéma et l’histoire, entre la politique et la littérature conditionne la vie intellectuelle, et le comportement quotidien de beaucoup de générations d’hommes, comme une sorte de mythe grec moderne et mirobolant ».

Tueur pour la « Coalition », le romancier écrit ses souvenirs depuis la prison de Sing-Sing, revenant sur un passé qu’il ne glorifie pas mais où il se donne le beau rôle. Herschel Goldberg, de son vrai nom, puise dans son enfance mais reconstruit sa vie à l’ombre des nombreux récits de mafieux, notamment ceux du cinéma de Hawks, des livres d’Hemingway ou des grandes figures comme Dillinger.

Vous pensiez connaître cette histoire grâce au film de Leone, mais le livre révèle de nombreuses autres anecdotes et détails de la vie d’une crapule. L’adaptation, libre, jouait sur les époques et les flash-back afin de mettre en lumière les liens d’amitié et de trahisons, tandis que le roman est plus linéaire et il est construit autour des deux obsessions de Noodles : braquer la Réserve Fédérale et épouser Dolorès (le récit de la scène du viol est à ce propos bien moins violent dans le livre). L’utilisation de la première personne offre une nouvelle porte d’entrée à la psychologie du gangster. Tandis que De Niro et ses charmes suscitaient empathie et fascination, cette première traduction française nous plonge avec vice, curiosité et distance dans les mémoires fictives d’un jeune truand de New York.

Il était une fois en Amérique, de Harry Grey, Sonatine éditions, 2024, 622p., 24,90€, préface de Sergio Leone