La peinture de Nathanaëlle Herbelin ne rougit pas d’être accrochée au voisinage des nabis, à Orsay. Au contraire !

Dépouiller le sensible. Non pas le laisser tomber comme des haillons honteux qu’on se hâtera d’oublier, voire de brûler, pour leur substituer la beauté froide, cassante, schématisée de je ne sais quelle géométrie. Mais laisser lentement, voluptueusement, s’affaisser ces couches de la réalité que perçoivent les sens. Les caresser amoureusement en les ôtant, tout en poursuivant, avec les seuls moyens de la peinture, l’une des fins les plus hautes que celle-ci peut se proposer. Oui, toucher au cœur des choses, avec, pour seuls instruments dans cette enquête-méditation renouvelée de tableau en tableau, les inépuisables ressources de l’art. 

Avec les gris, disposés selon une science délicate et vigoureuse, dégageant cette grâce paradoxale que confère une vitalité méthodique. Avec le crayeux de la chair immergée dans le bain translucide de l’eau. Avec ce raffinement optique qui, sous les mille accidents décomposant, décapant, dissolvant toute uniformité de ton et d’apparence, fait affleurer d’infiniment délicats rosissements. Avec cet art inégalable, cette combinaison de la touche et des valeurs, pour l’intelligibilité de quoi force est de recourir à l’assistance de l’analogie : les plans sont ligneux, fibreux, comme animés de courants épidermiques, comme frémissants, agités par quelque vibration dont le peintre surprend ici le mouvement. Un mouvement qui semble être celui des parties de la matière qui se raréfient, s’espacent, pour inviter le regard à pénétrer en dessous. Et « pénétrer », au sens vraiment érotique : en éprouvant, comme d’une main aimante, les mille variations courant sur l’enveloppe des surfaces.

Tels sont certains des traits de la peinture de Nathanaëlle Herbelin – et ses affinités avec les nabis, que l’exposition d’Orsay met en évidence, les soulignent encore. Car, me confie la jeune peintre, « je regarde toujours ce que je peux prendre aux peintres d’Orsay. Ainsi rien n’est anodin chez Vuillard ; et moi aussi dans les surfaces que je crée, j’essaie de faire en sorte que tout soit intéressant, que rien ne soit ennuyeux. » Les surfaces de Vuillard, les nus comme chez Bonnard aussi : « Je cherche à être universelle, et le nu permet beaucoup en ce sens – on se douche tous les jours ! » Rien toutefois ici qui ressortisse au fastidieux exercice du parallèle, ou, pire, de la réduction rabougrissante aux « influences ». Nicolas Gausserand, co-commissaire aux côtés de Christophe Leribault y insiste : « Le public doit ressentir cette confluence d’idées, sans qu’il soit nécessaire de mettre les œuvres côte à côte dans un rapport d’échelle à un pour un ou dans un rapprochement trop direct. On a donc conçu un stratagème, les deux salles offrant des endroits consacrés aux peintres nabis, d’autres aux œuvres de Nathanaëlle. »

Aussi bien, la quête de Nathanaëlle Herbelin n’appartient qu’à elle-même et ce mot, « Pensée » qui s’inscrit à même la paume d’une main, s’il désigne peut-être ce cœur des choses au dévoilement duquel elle aspire, doit être précédé d’un possessif : « ma pensée ».

Nathanaëlle Herbelin, musée d’Orsay, du 12 mars au 30 juin