Un premier long signé Asmae El Moudir, plein de promesses, La mère de tous les mensonges. Prix de la mise en scène à Un certain regard.
À la genèse du premier long-métrage d’Asmae El Moudir, la seule photographie dont dispose la réalisatrice de son enfance. Cette image est un simulacre, puisqu’une autre petite fille y apparaît à sa place. La Mère de tous les mensonges, c’est cette image d’un passé fictionnel et d’un présent construit sur les bases de cette fiction. Tout le dispositif du film – une maquette aux couleurs chatoyantes reproduisant avec minutie le quartier de la famille El Moudir à Casablanca – consiste à dépasser cette absence originelle de représentation. En espérant que chacun (parents, grand-mère, voisins) profite de ce nouvel écrin miniature pour réactiver une mémoire autobiographique et lever un à un les non-dits qui écrasent les générations. L’idée est de faire tomber ce qui tient de l’interdit, en inventant une forme documentaire privée de sa source principale : l’image. On pense à l’Image manquante de Rithy Pahn, d’autant que le projet de la réalisatrice est d’étendre la mnémothérapie collective au champ du politique et au récit oublié d’une révolte réprimée dans le sang.
Si La Mère de tous les mensonges séduit, son dispositif, qui se situe au carrefour des virtualités du cinéma documentaire, pose multitude de questions. La maquette fait ce qu’elle est censée faire : en même temps qu’elle offre une vision d’ensemble et de détails inédite, rendant immédiatement appréhensible la topographie des rues et le positionnement des habitants, elle réduit, par le jeu d’échelle et par sa joliesse, une partie des enjeux du film. Son besoin sans cesse répété de vérité se heurte à la constante manipulation des figurines, des membres de la famille qu’elles représentent. Le filmage ne semble jamais prendre en charge cette friction, renvoyant la responsabilité de l’inachèvement du programme initial vers la grand-mère, désignée comme gardienne du secret et ultime figure de résistance à la libération des paroles. Et même si la voix off de la réalisatrice, pleine de dérision, cherche à dédramatiser cette défiance, le documentaire se construit contre ce qui est devenu un personnage, un antagoniste qui concentre les noeux narratifs dont le scénariste doit se défaire. « Ne le dites pas à ma grand-mère, c’est moi la réalisatrice », nous susurre-t-on même malicieusement, preuve que la réécriture se joue sur plusieurs plans. Elle n’est pas seulement un rétablissement historique, mais aussi une revanche symbolique, dont le spectateur, rendu captif par une scénographie sans horizon ni échappatoire, devient le complice silencieux.
Un glissement s’opère ; ce qui était conçu comme un dispositif d’archéologie du récit devient une réaffirmation de puissance de la création, au détriment des témoignages, mis au second plan parce que lacunaires, et même d’une éventuelle archive, dont on finit par se demander si l’absence n’était pas commode. À l’heure où les mantras de la fiction (mise en récit, personnages, enjeux narratifs) s’étendent au champ documentaire, La Mère de tous les mensonges est logiquement reparti du dernier Festival de Cannes avec le prix de la mise en scène Un Certain Regard.
La mère de tous les mensonges, un film documentaire de Asmae El Moudir, Arizona Distribution, Sortie salle le 28 février