Crans-Montana fut un temps connu pour son sanatorium où s’éteignit Mireille Havet (1898-1932), petite flamme de lettres droguée qui confessait dans son Journal « aimer ses brûlures et chanter dans les supplices ». Plus tard, les accros de la poudreuse prirent la relève. La station de ski devint, entre autres, celle de Roger Moore. Des lignes de coco de Mireille Havet aux descentes infernales de James Bond, le blanc incarnait une certaine continuité. Il y a cinq ans, par une mystérieuse dérive des continents, les Aborigènes vinrent mettre de la couleur dans les montagnes du Valais plus habituée au cor des Alpes qu’au didjeridoo du bush. Unique centre d’art dédié à l’art aborigène contemporain en Europe, la Fondation Opale est née à Lens, aux portes de Crans-Montana, du désir de sa fondatrice, Bérengère Primat, accessoirement héritière Schlumberger, de mettre en avant un art vieux de 40.000 ans. Un art longtemps considéré comme gentiment exotique. Elle-même collectionneuse de 1500 œuvres de 350 artistes, passionnée de cette mouvance des déserts, dotée d’un goût très sûr, Bérengère Primat s’est donnée pour ambition de faire rayonner cette culture australienne là-haut sur la montagne suisse. « Depuis une dizaine d’années, ces œuvres ont connu un regain de popularité, non seulement pour leur grande qualité picturale mais aussi parce qu’elles défendent des valeurs de respect à la terre, de transmission », me confie le soir Bérengère Primat, lors d’une raclette party. Pour bien montrer les interactions plus ou moins évidentes entre les meilleurs artistes des antipodes et leurs homologues occidentaux (vivants ou trépassés), la Fondation Opale a eu la bonne idée de les faire dialoguer entre eux. Un jeu à égalité quoique, parfois, la puissance ténébreuse des peintres du bush trouble les certitudes que l’on pouvait avoir quant à la grandeur immarcescible de tel ou tel artiste européen. L’exposition propose ainsi plus de soixante œuvres, qui nous font réfléchir à notre identité et à notre perception de l’autre. Notons que la Fondation Opale (en référence à cette pierre précieuse omniprésente dans l’art aborigène) vient d’inaugurer un nouveau bâtiment doté d’un auditorium, d’une médiathèque et de nouvelles réserves. A la mesure de l’enjeu : faire franchir au visiteur les portes de la perception, dans cet entre-deux fluctuant où le regard se laisse absorber vers les territoires mystérieux de l’inconscient, à la limite du psychédélisme, là où le blanc s’efface. 

High Five ! jusqu’au 14 avril.

info@fondationopale.ch