Un documentaire exaltant sur la vie et l’œuvre de Titien, portraitiste virtuose de la Renaissance vénitienne.

Peintre-phare de l’École vénitienne du XVIe siècle, Titien se distingua surtout par son sens de la couleur ; il renouvela le genre du portrait en restituant avec éclat la sensualité et la sensibilité de ses modèles. Originaire de Pieve di Cadore, bourgade des Dolomites à laquelle il resta attaché toute sa vie, il se forma chez les frères Bellini (Giovanni et Gentile) qui lui transmirent les secrets du chromatisme et du tonalisme, techniques qu’il approfondit à sa manière, à la faveur de dégradés et de glacis intenses ; plutôt que sur l’esquisse, c’est sur ce colorito qu’il fondait le naturalisme nuancé, voire estompé, de ses figures. Il s’agissait de l’accentuer en captant les variations de lumière pour donner l’impression que celle-ci émane des corps ou de la peau même.

         Le documentaire que Giulio Boato et Laura Chiossone ont consacré au « maître de la couleur » met l’accent sur la somptueuse facture de son art par une mise en regard de modèles vivants avec les chefs-d’œuvre du peintre. De jolies comédiennes, souvent dénudées, prennent les poses de fameuses toiles, religieuses ou mythologiques, La Femme au miroir (1515), L’Assomption de la Vierge (vers 1516), Danaé (1554) — la plus émoustillante étant la Vénus d’Urbin (1538), triomphe de l’onanisme provocateur dont la charge érotique a rarement été égalée. Des historiens de l’art commentent à tour de rôle la genèse des tableaux, qu’il s’agisse de leurs sources thématiques (Les Métamorphoses d’Ovide) ou d’épisodes biographiques (l’amour profond que le peintre concevait pour Cecilia Soldano, sa morosa, comme on dit en vénitien, et principal modèle, qui lui donna trois enfants). Le plasticien Jeff Koons, grand fan de la « touche » titianesque, en propose une analyse par l’intermédiaire d’un artefact à sa façon, une gazing ball censée instaurer un dialogue entre la représentation picturale extérieure et son impact intérieur pour maximiser notre perception sensorielle.

         Un autre aspect contemporain du tempérament de Titien est son ambition démesurée. Plus forte que sa vocation, elle le conduisit à quitter ses montagnes natales pour faire carrière à Venise, puis, comme les commandes de la République Sérénissime ne le comblaient pas, à conquérir d’autres cours italiennes : la Ferrare d’Alphonse Ier d’Este, la Mantoue d’Isabelle d’Este-Gonzague et de son fils Frédéric II, et enfin Rome où il fit le portrait du pape Paul III (Alexandre Farnèse) et de ses neveux. Charles Quint comptait aussi parmi ses clients ; Titien le peignit en armure, à cheval, clin d’œil flatteur à la statue équestre de Marc Aurèle. Champion de l’autopromotion, le peintre cadorin avait trouvé en Pierre l’Arétin, critique libertin, rebelle et irrévérencieux, un porte-parole en guise d’agent. La leçon du virtuose impressionna des générations de peintres, Rubens, Van Dyck, Vélasquez, Reynolds, Géricault, Delacroix, etc. Elle s’impose encore aujourd’hui, comme le montre cet hommage en suggérant à mots couverts que Titien, au xxie siècle, aurait été metteur en scène ou vidéaste.

Le Titien, l’Empire des couleurs

Documentaire de Giulio Boato et Laura Chiossone.

En salles le 28 février.