Pour sa deuxième création, le jeune metteur en scène Sébastien Kheroufi transpose la pièce si poétique Par les villages de Peter Handke, au cœur des cités de la région parisienne qui l’ont vu grandir. Rencontre. 

Qu’est ce qui vous a plus dans le poème dramatique de Peter Handke ? 

C’est une longue histoire, qui prend ancrage dans mon enfance. J’ai grandi dans le 92 balloté entre une cité la semaine et un foyer Emmaüs le week-end, entre ma mère et mon père, qui étaient séparés depuis mes deux ans. J’ai eu un parcours chaotique, j’ai fait des conneries. Quand ça a chauffé pour moi, je suis parti en Angleterre. Pour vivre, je faisais des petits boulots. Je ne parlais pas la langue, mais au moins là-bas, je n’étais pas un banlieusard, un gars des cités. Cela m’a permis de déconstruire finalement les modèles sociétaux que j’avais en tête. J’ai commencé à aller au cinéma dans lequel je faisais le ménage, à m’intéresser à la manière dont les films étaient montés, le choix des angles de vue, la manière de narrer une histoire. Fort de ce bagage culturel, de ce nouveau regard sur l’art, je suis rentré en France et j’ai eu la chance de faire la rencontre de deux femmes incroyables qui ont cru en moi et m’ont poussé à tenter les concours d’entrée aux écoles d’art dramatique. Cette année-là, il y avait un texte imposé, Par les villages de Peter Handke. Un vrai choc. Non seulement je découvrais ce qu’était le théâtre, mais au-delà il y avait cette langue très poétique, mais aussi d’une limpidité, d’une clarté telle que tout était compréhensible. Je ne me sentais pas exclu parce que je n’avais pas la bonne culture. Et surtout, chez Handke, il n’y a pas de misérabilisme, de fantasme, de cliché. En le lisant et le relisant, il y a une évidence qui m’a sauté aux yeux, c’est ce qu’il raconte de ce village autrichien, ressemble en tout point, ou presque, à la vie dans les cités. Dès lors je savais qu’un jour j’aurais envie de le jouer ou de m’en emparer. Je ne pensais pas que la confiance de Nasser Djemaï et Chloé Siganos ou mes rencontres déterminantes avec Wajdi Mouawad, Éric Ruf, Laurent Sauvage, Stanislas Nordey, Cathy Bouvard et Hortense Archambault, me permettraient de le faire avant mes 40 ou 50 ans. Quand j’y pense c’est vertigineux. 

Comment transpose-t-on justement ce texte de l’Autriche de Handke à la banlieue où vous avez grandi ? 

De manière assez simple, évidente. J’ai découvert que Peter (Handke), avait grandi dans un milieu ultra-défavorisé, encore pire que dans la plupart des cités. Son parcours m’a sidéré. Cela m’a dans un premier temps donné envie de travailler ce texte avec les élèves de l’École élémentaire Thomas Masaryk – Châtenay-Malabry, dans le cadre de la sixième édition de Création en cours des Ateliers Médicis (dont j’étais fraîchement lauréat). Mais pour cela, je devais obtenir les droits de la pièce. Après plusieurs appels infructueux, je me suis aperçu que Peter Handke vivait en France, dans la même banlieue que moi. J’ai donc fini par aller déposer ma demande dans sa boîte aux lettres. La démarche, j’avoue culottée (rires), lui a plu. Un mois après, il a voulu me rencontrer. On s’est donné rendez-vous dans un café à Javel. Le hasard est heureux, c’est là où se sont rencontrés mes parents. L’aventure était lancée. On a commencé à échanger. L’important pour moi, il l’a ressenti, n’était absolument pas de dénaturer son propos, mais de décaler le regard. À part une quarantaine de mots, qui ont été changés avec son accord, le texte est le sien, car tout ce qui est dit, la misère, les drames sont les mêmes, qu’on soit dans un village perdu ou dans une cité. 

Comment s’articule ce spectacle dans vos projets artistiques ? 

C’est la deuxième partie d’un triptyque, imaginé comme un portrait de famille. L’an passé, dans le cadre du Festival Départ d’incendie du Théâtre du Soleil, j’ai présenté Antigone de Sophocle, qui fait écho à la vie de mes grands parents, qui se sont opposés au pouvoir politique et ont dû quitter l’Algérie pour fuir la guerre. J’y interroge la manière dont l’exil a fracassé leur famille. Ne voulant pas du théâtre documentaire, je trouve puissant de partir de textes existants pour leur faire raconter quelque chose de personnel et de les ancrer dans une autre réalité. Dans ce premier volet, j’ai puisé dans l’esthétisme des années 1960. Dans le cas de Par les villages, c’est l’histoire de mes parents, de leur vie dans ces grands ensembles urbains, que j’évoque. On est cette fois dans les années 1990. Enfin pour la dernière partie, je vais partir deux mois en résidence à la Villa Médicis à Rome pour l’écrire, j’aimerais y parler d’aujourd’hui, de mon expérience. 

Par les villages de Peter Handke, mise en scène de Sébastien Kheroufi, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, du 31 janvier au 11 février, et au Centre Pompidou du 16 au 18 février.