Festival Everybody, la danse et les corps dans tous leurs états

Le festival Everybody coïncide avec l’entrée en scène de l’année du dragon. Castor, Pollux, les whips et une DJ sorcière invitent à la fête. A découvrir au Carreau du Temple. 

Par Thomas Hahn

Un Carreau du Temple en fête, pour une nouvelle année lunaire qui commence. Le festival Everybody frappe à la porte de l’année du dragon, monstre sans genre, symbole de frayeurs chez les Occidentaux et de ravissement, voire de sagesse chez les Asiatiques. Everybody ? Il semble que le corps du dragon chinois serait composé de différents animaux et porterait des écailles masculines et féminines ! Selon l’astrologie chinoise, cette année placée sous le signe du monstre non-binaire apporte créativité et croissance, favorisant l’exploration de nouveaux horizons personnels et donc intimes. On ne saurait mieux inaugurer Everybody, où tous les corps ont droit de cité et de scène, et surtout ceux qui ne se définissent pas selon les critères habituels du féminin et du masculin. En ce sens, l’ouverture d’Everybody a été marquée par la présence de multiples dragon.ne.s.  

Dioscures de Marta Izquierdo Muñoz évoque Castor et Pollux, deux « vrais mâles » selon la légende, qui ont eu raison du sanglier qui ravageait la région de Calydon. Pas un dragon, mais presque. Les deux danseurs, très vivants dans les rôles des demi-frères antiques, sont plus préoccupés par leur attirance mutuelle, mais passent tout de même par quelques jeux de lutte et de guerre. L’un se nomme Ebène, est danseur et serait un formidable lutteur gréco-romain, poids plume. Mais au bout de leur flirt en mode drag, voguing et burlesque, il préfère étreindre intensément Mina Serrano, plus grand.e que lui et plus incertain.e en matière de genre. Bientôt, leurs corps d’éphèbes en paillettes et leurs lumineuses présences semblent se transformer en métaphores pour ne plus appartenir au genre humain. Certaines versions de leur légende prêtent en effet à Castor et Pollux d’être nés d’un œuf, exactement comme les dragons. Mais les grimaces et grognements qui surgissent à un moment appartiennent sans doute au sanglier de Calydon. 

S’il fallait affronter un dragon à écailles, on ferait plutôt confiance au trio mené par Georges Labbat. Ce jeune chorégraphe et plasticien embarque dans son aventure Synne Elve Enoksen, danseuse norvégienne formée à Bruxelles et l’ancienne danseuse de l’Opéra de Paris Letizia Galloni. Les trois font siffler et claquer leurs fouets, et c’est un formidable moyen pour disperser le public qui les approche de trop près – on est ici debout et mobile dans un espace immense – mais aussi pour laisser advenir une composition de musique concrète. Vêtus d’une seconde peau transparente, les whipsters du Carreau se transforment en zombies ou en lutteurs et finissent par fusionner leurs corps sous des claquements foudroyants qui ressemblent aux pétards d’une fête de nouvel an, mais feraient fuir, si nécessaire, tous les monstres du monde. Leurs présences énigmatiques jouent avec les codes qu’on lie communément à l’instrument, de la domination à l’érotisme, de la menace à la puissance mythologique. 

En complément à ces deux séances ludiques et hors norme, Everybody offre, avec The World was on Fire de Nina Vallon, un format presque classique. Sauf que la rébellion des femmes contre leur condition de plieuse, faiseuse de listes ou autre fonction assignée concerne aussi la forme de spectacle. D’abord, ce groupe de femmes très soudées et solidaires, subjuguées et ensorcelées par la DJ et chanteuse dans le rôle de la sorcière, s’extirpe des lourds costumes noirs et de leurs collerettes blanches. Ensuite elles font valser les praticables pour transformer le plateau en scène de concert. Et la voix de Marine Colard, laquelle jurait au début de ne jamais tomber amoureuse, saurait charmer le plus féroce des serpents ailés avec ses revendications chantées. Porté par l’esprit féministe de l’Américaine Starhawk, The World was on Fire se dévoile comme un manifeste, un acte de libération face aux pouvoirs religieux, moraux, politiques, économiques ou autres dragons qui crachent leur feu à la figure du peuple. 

Festival Everybody

Paris, Le Carreau du Temple

Du 9 au 13 février 2024 www.lecarreaudutemple.eu/evenements/festival-everybody-2024/