Le meilleur antidote aux mesquineries de l’époque ? La peinture gargantuesque, géniale, d’Orsten Groom, exposé au musée Paul Valéry de Sète. Indispensable.

La vapeur nacrée d’une brume toute bretonne émousse les appas traditionnels (soleil, insolence de lapis-lazuli de la mer) de Sète, et les hérissements des tombes du cimetière marin, pointant leurs têtes minérales au-dessus du mur qui le sépare du musée Paul Valéry, dressent un décor ad hoc à ma conversation zigzagante, grave et capricieuse à la fois, avec Orsten Groom, au cours du déjeuner qui précède la visite. 

Du fatras (un terme qu’il affectionne) de mes notes accidentées et myopement prises, j’extrais cet échantillon en forme de salve de notre jeu de ricochets verbaux, mentaux et intellectuels : Flaubert, les capacités cognitives du poulpe, le Tsimtsoum de la mystique juive, la surface et la peau, Zappa, Shane McGowan (RIP), prophétie et prophètes, Kafka… Cette parole toute de spontanéité réfléchie, si l’on peut dire, je l’écoute à nouveau dans la rétrospective, alors qu’il passe de tableau en tableau, ses explications tenant de la révélation d’un dessein de peintre. Révélation paradoxale, puisque, si elle s’effectue à la faveur d’une éruption érudite d’associations souterraines (la peinture est pour lui indissociable d’une « enquête », autre vocable qu’il prise), elle énonce une méthode concertée, rigoureuse et opiniâtre, qu’il apparente à celle de l’archéologue : il s’agit de « découvrir à rebours ce que la peinture fait advenir sous mes doigts ». Cette parole, me dis-je, cet éréthisme pourtant calme et lucide des mots, une nosographie spirituelle la rangerait à la rubrique des maladies – mais au sens où l’entendait Novalis : « Nos maladies sont toutes des phénomènes d’une sensibilité accrue qui veut se transformer en forces supérieures. » 

À l’instar de sa peinture et de cette exubérance bouillonnante de fièvre chaude, de ces rouges hurlants d’épanchements sanguins, de cette anarchique réticulation des lignes irriguant les toiles comme des tissus embrasés, ou encore de ces silhouettes de l’histoire de l’art parentes des spectres qu’enfantent les poussées de la température corporelle dans des draps froissés et trempés d’insomniaque sueur. Le corpus agité, martyrisé de cette peinture retrouve-t-il la sagesse des bourreaux qu’est le dolorisme chrétien – la douleur comme accès à la révélation ? Je ne sais pas, et qu’importe ; ce qui compte, c’est que la maladie picturale devient témoignage d’une volonté individuelle qui s’abolit (l’idée d’« illustration autobiographique » fait grimacer Orsten Groom) et se fond dans les « forces supérieures » de Novalis, c’est-à-dire dans… Dans quoi au juste ?

C’est ici qu’Orsten Groom se révèle véritablement peintre, et non penseur-qui-peindrait, tout rompu que fût le penseur à l’exercice brillant de la voltige, tout sincère et grave qu’il fût aussi. Irradiations, poussées des formes hors du fond et résorption concomitante dans ces mêmes fonds, foisonnement et extinction, grossièreté et maîtrise : l’informe hésite et tremble au seuil de la forme – comme un organisme malade sur le point de muter en on ne sait quelle forme de vie supérieure. 

Orsten Groom, Volcan du coma, musée Paul Valéry, Sète, jusqu’au 25 février.