Des matériaux naturels, des formes simples en harmonie avec l’architecture de la Fondation Cartier : l’exposition de Bijoy Jain / Studio Mumbai est une magnifique invitation à vivre l’espace de l’art. 

À peine pénétrée dans la Fondation Cartier, une odeur forte de terre attire vers la grande salle vitrée. Au milieu, une structure en bambou, tout autant circulaire que carrée, ajourée en son centre, organise l’espace. Des objets sont disposés autour et à l’intérieur : maquettes d’escalier en pierre, moulage de formes, fine structure en bambou de plusieurs mètres de haut s’apparentant à une tour, gong en terre. Le sol intérieur est recouvert d’une fine couche de bouse de vache tandis que s’impose à nous une grande boule circulaire, elle aussi recouverte de la matière fécale des animaux sacrés en Inde. Pour admirer l’harmonie créée par la rencontre de ces formes et de ces matières, des assises en bambou ou en pierre sont installées. Le temps semble comme ralenti, le silence s’impose. L’exposition Le souffle de l’architecte est avant tout une expérience multisensorielle, olfactive, visuelle, tactile et sonore autour des créations du Studio Mumbai et de son fondateur l’architecte Bijoy Jain. Les corps des visiteurs glissent entre les formes et les matières, admirent leur simplicité, la dextérité technique. Une variété de compétences artisanales ont permis ces réalisations, à l’image du studio indien d’architecture composé d’une majorité d’artisans. « 22 sur les 25 collaborateurs, témoigne Juliette Lecorne, commissaire associée. Leur processus de création est totalement renversé par rapport à celui que je constate habituellement. Normalement le travail artisanal exécute une idée préconçue. Ici, les artisans développent des explorations par la matière. Cela peut aller d’une poignée de porte à une chaise, à la couleur d’un pigment. Et c’est à partir de la matière que Bijoy Jain, va avoir l’intuition d’une idée ou proposer un projet.» Lorsque Juliette Lecorne et Hervé Chandès, directeur artistique de la Fondation, découvrent les ateliers du Studio Mumbai en Inde, oasis de calme et de silence au milieu de la turbulente ville aux 21 millions d’habitants, ils ont « ressenti une fascination pour cet environnement que nous avons eu envie de retrouver à la fondation. Nous avons cherché à caractériser cette sensation. Elle émanait de la diversité des choses, des explorations qui étaient à l’œuvre devant nous.»

Carte de blanche est ainsi donnée à Bijoy Jain, fondateur du Studio Mumbai en 1995. «Il souhaitait proposer un espace où on se sente bien, loin des bruits et des conflits. Un espace de contemplation, sans but. Une balade dans un paysage nouveau», précise Juliette Lecorne. «Un prolongement de l’espace de la Fondation» précise l’architecte. L’homme est grand, souriant, vêtu le jour du vernissage d’un pantalon et d’une veste ample, un pied en Occident, un pied en Inde, un pied au Japon, à l’image de ses réalisations. En 2010, il présentait son processus de création à la Biennale de Venise. Des matières naturelles prélevées, des formes multiples, des pigments créés par son studio, tout ce qui constitue son langage. Depuis, le studio est reconnu à travers le monde. De magnifiques résidences lui sont commandées en Inde, un chai dans le sud de la France, des expositions à Londres, ses pièces de mobiliers vendues à Bruxelles. L’architecte s’inspire des lieux, collecte des idées, des matières, des savoir-faire locaux, échangent avec les artisans, les commanditaires. Ses bâtiments se développent sur l’idée du palimpseste, par couches successives, par ajouts et retraits, instinctivement. «Il faut toujours être ouvert à tout. De chaque mouvement surgit une opportunité. Et collectivement nous pouvons agir, c’est ce que j’aime dans mon studio», confirme l’architecte. L’exposition de la Fondation Cartier raconte ce processus de recherche, d’exploration, ses sources d’inspirations. «C’est vraiment une sorte d’anthologie des formes qui inspirent le studio», note Juliette Lecorne. L’exposition, hommage à l’artisanat, est une expérience à vivre. Aucun texte n’accompagne les œuvres. Les médiateurs distillent au compte-goutte les informations précises. « J’avais envie d’offrir un espace sans opportunité, dans lequel on se sente très bien, de la même manière qu’on irait voir la mer », raconte Bijoy Jain.

Le souffle de l’architecte, le titre de l’exposition, « révèle son approche : penser le bâtiment comme un corps vivant, le faire respirer, favoriser la circulation de l’air, de la lumière. «Mes projets se développent autour de notions indispensables à la vie, comme l’air, l’eau, la lumière naturelle, confirme le créateur indien. Quand je parle du souffle, ce souffle n’est pas seulement celui de l’architecte mais celui que nous avons en commun et qui, collectivement, peut apporter de l’espoir. Ce souffle est à la fois fragile et fort et porte en lui la résilience. De cette manière, on peut retrouver un sens de l’espoir même si tout ce qui nous entoure est plutôt dans le bruit et le conflit. » De l’autre côté des larges baies vitrées apparaissent des statuettes disposées dans le jardin. Elles regardent l’intérieur du bâtiment, prolongent les perspectives, lient l’intérieur et l’extérieur. Cette dernière idée révèle une part de la philosophie de Bijoy Jain. Penser le monde sans frontière entre le corps humain, son environnement, la nature, entre l’intérieur d’un bâtiment et l’extérieur. Dans ce sens «l’architecture se doit d’être plus inclusive», témoigne-t-il. Dans les salles inférieures de la fondation Cartier, les créations de Bijoy Jain rencontrent les céramiques d’Ebüzziya Siesbye et les dessins de Hu Liu. « Tous trois ont une pratique caractérisée par l’itération d’un même geste, une affection pour la matière et une conception d’être au monde qui se caractérise par une manière dont on reçoit celui-ci », ajoute Juliette Lecorne. Dans cette célébration des savoir-faire humains, le public est invité à s’asseoir, à contempler, à s’alimenter de ce dialogue avec les matériaux, avec l’espace, avec ce même souffle qui a parcouru les collaborateurs du studio Mumbai lors de la réalisation des œuvres, et qui traverse maintenant l’espace de la Fondation Cartier.

Le souffle de l’architecte Bijoy Jain / Studio Mumbai, Fondation Cartier pour l’art contemporain, jusqu’au 21 avril 2024, plus d’informations