Au grès de révélations intimes et de témoignages de proches, ce livre dévoile les fêlures d’une star qui n’a jamais accepté son talent et ses succès.  

Au mi-temps des années 80, quand enfin Paul Newman reçoit un Oscar d’honneur pour son rôle de mentor exaspéré d’un jeune arnaqueur dénommé Tom Cruise dans La Couleur de l’argent de Scorsese, il décide de s’atteler à ce qui s’apparenterait à une autobiographie. Mais ne pouvant s’y résoudre seul, il convoque son vieux pote, le scénariste Stewart Stern (La fureur de vivre), pour papoter ensemble, enregistrer des bribes de souvenirs. L’entreprise dure des années, et à mesure que s’amoncellent les bandes enregistrées, Stern en profite pour interroger les proches de la star : sa première femme, épousée avec trop de hâte, ses enfants plus ou moins écrasés par sa personnalité, l’amour de sa vie, la comédienne et réalisatrice Joanne Woodward, quelques acteurs comme Karl Malden et évidemment des réalisateurs, parmi lesquels, les fidèles Martin Ritt, Richard Brooks ou Robert Altman. On connaissait de loin, à peu près, la réputation de Newman, capable de convaincre n’importe quel bigot fanatique de l’inexistence de toute justice divine : en plus d’être beau comme un Dieu, un comédien merveilleux et charismatique, il était un entrepreneur génial, un champion de course, un mari fidèle, un homme sensible, intelligent, un père zélé et même un cuisinier hors pair. Stop ! Ce pénétrant reportage posthume, ce documentaire de première main nous permet d’y voir plus clair : Paul Newman était un petit bourgeois étriqué et trop poli qui aura passé son existence à demander pardon d’être né sous une bonne étoile. Il aura culpabilisé d’être le fils d’un père chagrin, boutiquier juif rêvant de poésie et marié de force à une mégère acariâtre, à la voix de poupée déglinguée qu’on croirait modèle d’un rôle à la Bette Davies. Fils choyé, étouffé, humilié, maltraité par cette goy méchante, complexée et paranoïaque contre qui, il a la dent mauvaise mais géniale : « Ça ne devait pas être très différent sur le plan sexuel : on aurait pu lui retirer son partenaire sans que son excitation cesse pour autant. Ce n’est qu’après avoir joui qu’elle aurait demandé : « Où est-ce qu’il est passé ? » Je sais, c’est terrible de dire une chose pareille de sa mère ; mais je trouve ça aussi terriblement drôle – et terriblement triste. » Etudiant, Paul boit comme un trou mais davantage et mieux que n’importe qui. Il s’excuse mais baise à tout va sans y trouver de plaisir. Il faudra qu’il trompe sa première épouse avec Joanne Woodward pour enfin devenir sexy. Mais encore une fois, ce n’est pas grâce à lui mais grâce à autrui. De même, s’il devient star, il l’attribue à la mort de James Dean, non à sa capacité de travail et un quelconque talent. Newman aura passé son existence à devoir se prouver à lui-même et aux autres qu’il valait quelque chose. Par la finesse de ses analyses psychologiques, l’extrême pénétration de ses remarques sur ses propres manquements et l’attention à percer sans déni sa vérité intime, Newman donne aussi l’impression d’avoir possédé – sans avoir jamais osé les utiliser – toutes les vertus d’un grand écrivain. Ainsi, il ne peut s’attribuer ses fabuleuses Mémoires à lui seul, et laisse cette tâche à un homme de lettres. Mais Newman ne trompe personne et, au bout du compte, il est bien le véritable auteur de ce livre, parmi les plus fins jamais publiés sur un acteur. 

La Vie extraordinaire d’un homme ordinaire de Paul Newman, traduit de l’Anglais (Etats-Unis) par Serge Chauvin, La table ronde, 335p., 24,50€  . Plus d’informations