Rancillac, Monory, Jacquet, Tyszblat et les autres : les mousquetaires de la Figuration narrative s’invitent chez Strouk. Imparable, immanquable !

La peinture a ceci de commun avec les autres arts périlleux et raffinés de la ligne, le funambulisme comme l’alpinisme, qu’elle réclame un rééquilibrage constant – un réglage de tous les instants dans la pratique, mais aussi sur ce plan instable s’il en est qu’est l’histoire de l’art. Ainsi, Marie Laborde, directrice de la galerie de m’expliquer moins la logique que la physique qui a arrêté le dessein d’ensemble et les choix de ce que je baptiserais volontiers, si la langue française n’était pas parfois un peu étroite aux entournures, d’un autre mot qu’« exposition », tant, guindé, passe-partout, le terme trahit, en les domestiquant, les éruptions colorées et les folles libertés d’allure, de conception et d’exécution du petit et palpitant contingent de représentants de la Figuration narrative ici accroché. Ma pensée perd son assiette, je la redresse, je reviens à Marie Laborde, à la volonté revendiquée de donner un coup de barre dans l’autre sens à une histoire de l’art française dont ceux qui l’écrivent, en particulier les institutions, ont trop longtemps fait la sourde oreille à ce que ces figures avaient à leur narrer ; aussi paraissait-il à propos non seulement d’héberger sur les cimaises de la galerie Monory, Rancillac, Erro, Arroyo ou des patronymes moins familiers de l’auteur de ces lignes, comme Tyszblat, mais aussi de remonter dans le temps et de dégager ainsi les racines d’où partent les fûts et les branches de l’arbre généalogique des jeunes peintres figuratifs contemporains. 

Joignant la force de l’analyse à la sensibilité aiguë du récepteur sensoriel qu’est tout spectateur, Olivier Kaeppelin a donné à cette occasion, dans un beau texte, ce qui s’apparente moins à des notices sur chacun des artistes qu’à de nutritifs et sensibles concentrés de leurs œuvres, inclinations et tempéraments et il ne me reste, muni de ces précieuses notations, qu’à m’avancer de tableau en tableau en m’efforçant de ne pas perdre l’équilibre. Car telle semble bien être la commune ambition de toutes ces toiles : dérouter les lois ordinaires de la mécanique – privilégier, à l’immobilisation de toute chose à son état d’équilibre, la vacillation, le penchement, à l’image de ce merveilleux Rancillac où la contrebasse de Mingus, basculant à l’oblique, entraîne toute l’image et le tangage de notre perception. 

Ainsi encore de cet Arroyo où à la physionomie d’un visage se substitue une suspension de particules colorées : le nez, les yeux, la bouche ôtés, à quel repère fixer mon œil pour arrêter ce frémissement coloré ? Et ce n’est pas le cubisme pop d’Adami qui va rassurer mes globes oculaires : ton faussement naïf, publicitairement déclamatoire des teintes combattu par la méjonction (le déséquilibre linguistique du néologisme s’impose spontanément) retorse des plans, confort réchauffant de la couleur mais malaise spatial. La Figuration narrative n’en finit pas de (faire) trébucher ; par quoi elle a – vertu déséquilibrante du paradoxe – toute sa place dans une droite marche de l’histoire de l’art.

Un doute radical. Nouvelle Figuration, galerie Strouk Du 8 décembre au 27 janvier 2024, plus d’informations