Éclairante exposition au Munaé où l’homme, l’œuvre et l’institution scolaire se réfléchissent les uns les autres. Et dont on ressort avec une furieuse envie de relire Romain Rolland !

Claire Basquin, co-commissaire de l’exposition, qui sait son Romain Rolland comme le Nobel de 1915, pianiste de première force savait, présume-t-on, ses partitions – sur le bout des doigts –, alors qu’elle met une passion communicative et érudite à me faire les honneurs de cette exposition où littérature, histoire de la pédagogie et Histoire tout court forment un tonique trivium, comme eût dit un escholier du Moyen-Âge, tente avec un rare bonheur l’exercice délicat consistant à circonscrire la tournure d’esprit de l’auteur de Jean-Christophe. Esprit qui a les contours indistincts, élastiques, mais aussi le mouvement puissant de la mer (et n’est-ce pas le moindre chez celui qui a la paternité de la formule « sentiment océanique » ?) et dont Claire Basquin, donc, me rappelle qu’il est celui d’un agrégé d’histoire, et qu’à ce titre, il y aurait peut-être des apparentements à chercher du côté des historiens antiques, peu portés sur la réduction à des concepts. Un instant, c’est mon propre esprit qui vogue océaniquement, et je songe à des lignes fameuses de Tite-Live : « ce que l’histoire offre surtout de salutaire et de fécond, ce sont les exemples instructifs de toute espèce ». Mais Romain Rolland, et cette exposition qui, avec une finesse foisonnante, entreprend d’élucider les rapports (biographiques, intellectuels, éditoriaux, d’influence) que l’homme et l’œuvre entretinrent avec l’école, le prouve à chaque vitrine, est moins un « exemple » qu’un « contre-exemple » prodigieusement instructif. 

L’écolier, puis le lycéen Rolland ? Du talent, l’auréole de prix, peu de goût pour la lice des « rivalités » (le mot revient, triste leitmotiv, dans ses souvenirs) ; une fois à Paris, l’écœurement du lycée, cette « caserne d’adolescents en rut », la rongeante, l’obnubilante obligation de réussir – car toute la famille, à l’instar de celle de Claudel dont il fut le condisciple, s’est transportée à Paris pour qu’à l’étrier scolaire le plus prestigieux, le pied de l’élève Rolland fût mis. Le normalien, qui lit entre autres Alfred Mézières sur son bien-aimé Shakespeare, sera brièvement enseignant, pratiquant ce qui ressemble à une subversion douce, un anticonformisme dans les us professoraux (ainsi ses cours d’art au Louvre, devant les peintures). Ne confiait-il pas à sa chère Sofia Guerrieri-Gonzaga : « Il y a dans tout cours une rhétorique nécessaire, un caractère factice et conventionnel qui me déplaît. » ?

Auteur reconnu, lié à Péguy, figure de proue du pacifisme avec Au-dessus de la mêlée, exalté par le Front populaire, Rolland fournit des textes de chevet aux instituteurs, salue les innovations de Maria Montessori, soutient Célestin Freinet. Et rien là-dedans d’une nébuleuse adhésion cantonnée aux grandes idées ; c’est dans le détail d’une dictée ou même d’une leçon de météorologie (à partir d’un fameux texte sur les nuages) que Jean-Christophe fait partie du quotidien des têtes blondes. Miracle de l’école, miracle de la littérature : le contre-exemple est exemplaire. 

Exposition Romain Rolland : « Vers la paix par l’intelligence et l’amour », Munaé, jusqu’au 8 janvier. Plus d’informations