Nouveau jalon étincelant d’une grande œuvre satirique et politique, Winter Break permet à Alexander Payne de croquer férocement les années 70. 

En 2017, Richard Linklater, pape du cinéma indépendant américain, inventait avec Last Flag Flying une suite à La dernière corvée de Hal Ashby, film culte des années 70. Linklater imaginait ce qu’étaient devenus cinquante ans plus tard les trois jeunes militaires de cette histoire qui s’étaient offert le temps d’un film une ultime virée amicale, imbibée et sexuelle avant les heures graves de la vie adulte que Ashby comparait à une prison. Pour Linklater, le monde moderne du XXIe siècle s’était entièrement recouvert de cette gravité tant redoutée par nos trois pieds nickelés. Il est curieux de constater que six ans après Linklater, Alexander Payne, autre géant du cinéma indépendant, choisit de planter l’action de son nouveau film dans l’exact bain sonore et plastique du film de Ashby, comme si La dernière corvée était devenu le maître-étalon d’un cinéma ayant su documenter une certaine tiédeur des seventies. Regarder Winter Break, c’est en effet faire l’expérience d’un film d’aujourd’hui qui ressemble traits pour traits dans sa matière audio-visuelle, ses thèmes et le rythme de son montage et de son découpage à une œuvre réalisée il y a cinquante ans. Payne est-il pour autant nostalgique comme tous ces cinéastes américains qui, tel Spielberg, regrettent une époque perdue ? Ce n’est pas sûr tant ses trois héros sont plus solitaires et amers que jamais. Isolés dans un grand lycée huppé pendant les fêtes de fin d’années, ces trois âmes esseulées peinent à s’amuser et à coexister ensemble. On retrouve la typologie de personnages chers au réalisateur de Sideways : un professeur aigri et méchant, une cuisinière afro-américaine éplorée par la mort de son fils tombé au Vietnam et un élève suicidaire. Payne a le goût des personnages misérables, petits et mesquins. Il n’a pas son pareil pour faire ressentir l’amertume de vies ratées. Le prof campé par son acteur fétiche (Paul Giamatti) est un vieux garçon qui se dérobe aux autres en les toisant en latin, en les snobant de citations creuses ; un masque de condescendance dissimulant vide et lâcheté. Payne ose une scène terrible lorsque celui-ci croise un vieux copain moins doué mais qui a réussi dans la finance. Il filme le vieux prof en train de mentir devant son élève complice mais pas dupe avec cette cruauté et cette vérité des âmes mises à nue devenue si rare dans le cinéma américain. Même si tout pourrait paraître un peu cousu de fil blanc – on imagine bien que ces trois là vont parvenir à une trêve le temps du réveillon – Payne dépeint une époque terne, dirigée par des incompétents vénaux, misogyne et va-t’en-guerre. Ce réalisateur d’épatantes satires politiques – dont Election sur les correspondances entre suffrages dans les lycées et campagnes électorales, grand amateur de comédies italiennes, sait croquer les seventies dans un bouillon unique d’acidité et de sentimentalité. Avec sa force tranquille mais incisive vis-à-vis d’une époque qu’il décrit comme dépressive et dominée par des hypocrites et des égoïstes, Payne n’est en aucun cas nostalgique. Il regrette l’esprit d’un certain cinéma, capable de fustiger avec élégance mais sans œillères des impasses d’une société.  

Winter Break de Alexander Payne, en salle le 13 décembre