En revenant sur la complicité du peintre espagnol et de la poétesse américaine, le musée du Luxembourg dévoile l’influence majeure de Gertrude Stein sur l’avant-garde américaine de l’après-guerre.

Parfois, les relations entre le visible et le lisible prennent racine là où l’on ne s’y attend pas, se tissant au gré de fertiles amitiés dont l’influence et la grande porosité font œuvre dans l’histoire des arts pour la postérité. Il en va ainsi des liens unissant Pablo Picasso et Gertrude Stein (1874-1946) dont la résonance au sein des avant-gardes américaines de l’après-guerre semble désormais éclater au grand jour. « Un écrivain devrait écrire avec ses yeux et un peintre peindre avec ses oreilles » déclarait d’ailleurs en 1940 la poétesse américaine. C’est en 1905 que cette immigrée américaine fait la connaissance du peintre espagnol, une rencontre qui scellera alors l’Âge d’Or de la bohème parisienne. Car en France, Gertrude Stein est surtout connue pour avoir été le soutien incontestable de Picasso à ses débuts. Ce que l’on sait moins, c’est que ce sont à ses côtés que la célèbre collectionneuse et femme de lettres a pu inventer un nouveau type d’écriture, pleinement ancré dans le rythme, la scansion et la simplicité. À l’entrée de l’exposition que leur consacre le musée du Luxembourg, cette citation est inscrite sur les murs pour nous le rappeler : « Pablo fait des portraits abstraits en peinture. J’essaie de faire des portraits abstraits avec mon médium, les mots. » Travaillant au plus près de ces derniers, la puissance de son écriture, tout à la fois rythmique et sonore, s’ancre avec obsession dans la répétition et joue sur la plupart des figures de style. L’amitié entre l’artiste et l’écrivaine s’est ainsi cristallisée autour de leur travail respectif et de l’avènement de la grammaire plastique cubiste où la décomposition analytique des objets dans la peinture trouve écho dans la sérialité et la circularité du langage. En regard des sculptures et œuvres peintes cubistes de Picasso, la première partie de cette stimulante exposition orchestrée par Cécile Debray et Assia Quesnel apporte un éclairage inédit et richement documenté sur l’œuvre poétique et mal connue de Gertrude Stein. Plus loin, la deuxième partie examine quant à elle l’influence considérable de cette singulière poésie sur la culture avant-gardiste américaine de l’après-guerre, et notamment sur les figures majeures de Black Mountain College, citons le musicien expérimental John Cage ou bien le chorégraphe Merce Cunningham. La sensibilité de Gertrude Stein, devenue icône lesbienne à part entière, imprègne également l’art minimal de Carl Andre et les travaux conceptuels de Joseph Kosuth et de Bruce Nauman jusqu’à même féconder la peinture pop d’Andy Warhol. De nos jours, le metteur en scène des œuvres de Brecht, Bond ou Tchekhov, à savoir Ludovic Lagarde, a imaginé un programme de lectures et de performances autour de cette œuvre majeure. Chaque lundi pendant les nocturnes, celui qui a voulu faire du théâtre pour « apprendre à lire des textes littéraires » la célèbre au moyen d’une scénographie intimiste, tout inspirée de l’esprit d’un salon indien. L’historiographie de Gertrude Stein s’avère alors à l’œuvre. Son héritage, quant à lui, pleinement vivant.  

« Gertrude Stein et Pablo Picasso, l’invention du langage ». 

Musée du Luxembourg, Paris. 

Jusqu’au 28 janvier 2024. 

www.museeduluxembourg.fr