Ultra visuel, sonore et théâtral, Conann nous sauve des bêtises sociologiques du cinéma français actuel. 

Francis Ponge a écrit Pour un Malherbe, édité somptueusement par Gallimard à l’époque, grand format presque carré, texte à l’aise dans la page. Ça tombe bien, Mandico mériterait la même chose. Déjà, il fait tout ce que les autres ne savent pas faire, et ne fait jamais ce qu’ils font tous. Aucun sociologisme chez lui, aucun « sujet », aucun « procès » pour sauver la « complexité » des « simplifications » que ces mêmes « cinéastes » pratiquent à longueur de prises de paroles lorsqu’ils reçoivent un prix au festival de Cannes par exemple. Chez Mandico, les filles sont des garçons et les garçons des filles le plus naturellement au monde, cela sans démonstrations lourdingues. Chez lui, pas de jargon sur le « sexe », la « race », le « genre » et autres balourderies, toujours + de conneries. Mandico est léger, aérien même quand il évoque les enfers et la violence comme dans Conann. La condition féerique de l’humain, c’est du travail d’artisan puissamment visité par l’ingénierie des rêves. C’est un fil du rasoir où l’on pourrait se couper. Aucun kitsch chez Mandico. Sa Conann évolue à travers les époques, dévorée au fur et à mesure par ce qu’elle devient. L’adolescente tue l’enfant, l’adulte tue l’adolescente, et cela jusqu’à la vieillesse et un repas final où elle se fait dévorer par une ribambelle d’artistes Instagram, rappel somptueux de multiples repas cinématographiques et littéraires, et d’abord celui conçu par Pétrone et repris par Fellini dans le Satyricon. Pour hériter de Trimalcion, il faut le manger. Pareil pour Conann. Elle est née dans les limbes des âges couleurs de bronze et de fer, elle disparaît dans celui des vallées du silicium et des micro-processeurs. Conann, c’est l’histoire humaine jusqu’à nos jours. Conann, c’est du théâtre somptueux avec quatre euros six sous. Mandico restaure une lignée oubliée du cinéma français, celle de Cocteau, Dulac et autres expérimentateurs sophistiqués. La lignée Cocteau s’est répandue partout aux Etats-Unis et en Asie, et par Mandico, elle nous revient enrichie des visions d’Anger, Terayama, Tsukamoto et autres Wakamatsu. Certains en France, pensent connaître tout ça, mais non, ils n’y connaissent rien. Ça rappelle cette interview de Godard par Ardisson, lequel lui passe la pommade, lui dit qu’il est un mythe, et que lui, Ardisson, a été influencé par son cinéma, et Godard, tranquillement, lui rétorque que non, «  parce que sinon, vous ne ne feriez pas votre émission ainsi. » Rien de naturaliste chez Mandico, ni dans le décor, ni dans le jeu d’acteurs. Leurs paroles sont naturelles au film lui-même, non à une quelconque réalité extérieure. Leur théâtralité est limpide, et c’est ce qui la rend crédible. Pas d’hésitations ou de quasi bégaiements, tous ces « euhhh » derrière chaque mot comme il y en a partout dans le cinéma français, imitation stupide d’un pseudo-langage ordinaire. C’est du b-a ba salutaire : être artificiel à l’écran est plus vraisemblable qu’être « naturel ». On vit dans un monde de guillemets, il n’y en a pas chez Mandico. Son innocence est savante et il révèle le snobisme des ploucs. Vous l’avez remarqué, les ploucs sont partout depuis la pop culture et la présidence Mitterrand. Leur snobisme est si plouc, si peu faubourg, si peu salon, si peu peuple, noble ou ecclésiastique, que réussir parmi eux, c’est échouer partout ailleurs, en art notamment. Mais avant d’aller chez Mandico l’écouter entouré de ses livres – il y a si peu de livres chez les gens de cinéma que j’ai interviewés -, de ses disques, films, affiches et objets dignes de Pierre Molinier, relisons François Malherbe : Beauté, mon beau souci, de qui l’âme incertaine / A, comme l’Océan, son flux et son reflux, /Pensez de vous résoudre à soulager ma peine, / Ou je me vais résoudre à ne le souffrir plus. Chez Mandico, le cinéma français ne souffre plus de lui-même et nous soulage des palmarès cannois. 

Article complet à découvrir dans le N°173, disponible en version numérique