La deuxième édition de Paris+ par Art Basel ouvre ses portes fin octobre : le marché français
se hisse à la quatrième place mondiale. L’occasion de demander à sept galeries d’évoquer
l’artiste que celles-ci vont mettre en avant.

Paris capitale du marché de l’art européen ? Beaucoup le pressentaient et en rêvaient. Ces dernières années, post-covid, ont confirmé cet espoir puisqu’avec un volume de vente frisant les 5 milliards d’euros, le marché français se porte à merveille, sur la 4ème place du podium mondial, après les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine. Un record historique ! Aucun hasard donc si la FIAC est tombée dans la puissante escarcelle de la galaxie Art Basel. Ainsi, pour sa 2e édition, Paris+ by Art Basel décline à l’envi des valeurs sûres ayant aussi pour rôle de valider des pépites plus émergentes. Car les collectionneurs recherchent ici la qualité avant de courir une offre culturelle dynamique dans les musées et les fondations d’art de la ville. La foire, catalyseur de regards internationaux, doit ici confirmer l’euphorie de l’an dernier alors que les puissantes galeries étrangères ont ouvert en nombre des espaces dans la capitale (Hauser & Wirth, Esther Schipper, Mendes Wood…), convaincues de la nouvelle attractivité parisienne.

Laquelle repose peut-être, en dernière analyse, sur la conviction qui anime les exposants, conviction simple, mais fervente, comme toute foi touchant à l’esthétique et à l’éthique. Une conviction qui postule, décèle et revendique dans l’art et l’œil du galeriste une vertu active. Accrocher des pièces qui absorbent et restituent le temps présent, ses vicissitudes et ses hoquets, mais qui aussi détiennent peut-être la formule du remède ; faire parler entre elles, à la faveur de fructueuses conversations, ces muettes créatures que sont les œuvres d’art ; donner le loisir à leurs créateurs de vaincre le temps en se tendant une main fraternelle par-delà le gouffre des générations ; offrir au visiteur, sous une même signature, une agrégation de références transfigurées, comme sous l’effet d’un pôle puissamment magnétique ; ne montrer que les œuvres dignes de l’être, comme à l’issue d’une subtile opération chimique… Rien ici d’inerte. Paris+ le rappelle avec éloquence : l’art et ceux qui s’en occupent détiennent un étrange et irréfutable pouvoir. J.C. et D.A.

Nathalie Obadia (Galerie Nathalie Obadia ): « Mickalene Thomas et son regard engagé sur l’Amérique ».

Mickalene Thomas, Resist #12 Power to the People, 2023, Strass, peinture acrylique et huile sur toile montée sur panneau, 152,4 x 243,8 cm © Mickalene Thomas / Artists Rights Society (ARS), New York Courtesy de l’artiste et de la Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles 

Quel serait le trait distinctif de la peinture de Mickalene Thomas ?

C’est une artiste plasticienne complète, en perpétuelle recherche, à travers ses tableaux, ses photos, ses sculptures, mais aussi dans ses sujets : ses portraits de femmes noires dans la société américaine, ses paysages. La série Resist est plus politique, plus engagée, tout en restant plastiquement très forte. 

Quelle est la teneur de cette dimension « politique » que vous évoquiez ?

Elle réalise un portrait de l’Amérique, avec ce qu’elle peut sembler avoir d’idyllique – on retrouve chez elle des couleurs brillantes, quelques paillettes… C’est le côté très pop, le choc, l’attirance des couleurs, cet aspect très américain qui s’est vraiment développé après la Seconde Guerre mondiale, cette culture du visuel, du cinéma, de la photographie, de la publicité. Mais il y a aussi chez Mickalene Thomas tout un jeu sur le baroque, une manière de construire des scènes pop et baroques qui prennent ensuite un sens plus politique. Car elle montre que, malgré les lois sur les droits civiques et tout ce qu’on voudra, le pays est toujours confronté à de gros problèmes d’intégration, de reconnaissance des minorités, noires ou d’autres origines. Telle est la double face de l’Amérique, telle qu’elle ressort de l’œuvre de Mickalene Thomas. Elle-même est une artiste afro-descendante intégrée, elle a fait Yale, elle a reçu des prix importants, est rentrée dans de grandes collections, mais elle sait parfaitement combien tout cela est fragile – et elle le fait apparaître dans son travail.

Pourrait-on invoquer quelques artistes qui auraient fait office de déclencheurs ?

Je ne parlerai pas de « déclencheurs », mais Mickalene Thomas est une artiste extrêmement cultivée, qui a une grande connaissance de l’art américain et européen, qui est allée en résidence à Giverny il y a quelques années. Van Gogh dans les couleurs, Vuillard, Picasso… elle connaît toute cette peinture moderne, et elle la nourrit de sa propre culture en tant qu’Américaine. Elle n’a pas peur. C’est ce qu’on peut dire d’elle : elle n’a pas peur, elle y va. 

Propos recueillis par Damien Aubel

Jérôme Poggi (Galerie Poggi) : « Un tableau exceptionnel d’Anna-Eva Bergman »

Nuit arctique II, d’Anna-Eva Bergman, N°50-1969 1969.

Quelle est la particularité de votre stand cette année à Paris+ ? 

Nous avons pensé un stand minimaliste dans son accrochage avec quatre œuvres seulement exposées, sur le thème de la Nuit des Temps. Ce sont des œuvres très exceptionnelles ou remarquables dont certaines ont été conçues spécialement pour Paris + (Kapwani Kiwanga et Ittah Yoda). Marie-Anne Derville, qui avait signé pour nous la scénographie tant admirée de l’exposition « Edvard Munch / Anna Eva Bergman, Une cosmologie de l’art » à l’automne 2022, va orchestrer finement ce dialogue en s’inspirant d’une magnifique exposition de Jean Arp présentée en 1928 à la Galerie L’Époque de Bruxelles.

Quelle pièce maîtresse allez-vous présenter ? 

Après Edvard Munch l’année dernière, c’est Anna Eva Bergman, qui a ébloui lors de sa rétrospective au Musée d’art Moderne, qui est le point de départ de notre projet. La Fondation Hartung Bergman nous a confié un tableau exceptionnel et rare intitulé Nuit Arctique (1969) proposé à 700.000 euros. C’est cette nuit sans début ni fin qui nous a inspiré ce projet curatorial. Cette lumière qui nous soustrait au temps. Nous l’avons fait dialoguer avec un splendide Djamel Tatah représentant des figures flottantes, vues de dessus, comme si elles étaient en apesanteur dans l’espace chromatique si absorbant de l’artiste, ce mélange de cire et d’huile qui est la signature de son œuvre. Djamel Tatah l’avait réalisée pour sa rétrospective au Musée Fabre (2022/2023). Pour info, il prépare une exposition pour le Musée Matisse en 2024.

Pouvez-vous nous parler d’une production réalisée pour Paris+ ?

En filant cette métaphore de l’entre-deux, où se rejoignent la nuit et le jour, Kapwani Kiwanga a produit une sculpture dans la lignée de ses recherches sur le verre entreprise pour la Biennale de Venise en 2022, et qu’elle approfondira pour le Pavillon canadien à Venise l’année prochaine. C’est une sculpture murale, faite de verre coloré et de sable, qui résonne avec le Bergman. 

Propos recueillis par Aude de Bourbon Parme

Cécile Fakhoury (Galerie Cécile Fakhoury) : « Le très suivi Elladj Lincy Deloumeaux ». 

Les ombres dansent, de Elladj Lincy Deloumeaux, 260 x 195 cm, huile, acrylique et pastel sur toile. Courtesy Galerie Cécile Fakhoury (Abidjan, Dakar, Paris). 

Vous consacrez un solo-show au jeune artiste Elladj Lincy Deloumeaux. Comment l’avez-vous découvert ? 

Nous avons, depuis quelques années, cette exposition prospective, About Now, qui propose une sélection d’artistes très émergents. À l’époque où nous avons découvert le travail d’Elladj, il était étudiant aux Beaux-Arts de Paris et c’est Delphine Lopez, directrice de notre galerie de Dakar, qui avait repéré son travail sur Instagram. Originaire de la Guadeloupe, Elladj était particulièrement intéressé par les racines africaines des Antilles et nous faisait part de son envie, si ce n’est de son besoin, de se connecter à l’Afrique de l’Ouest. La qualité plastique de ses œuvres et la profondeur de sa démarche nous ont conduit à présenter son travail dans la première exposition About Now à Abidjan en 2021 puis en exposition solo dans le Project Space, un espace à Abidjan, à côté de la galerie principale, précisément destiné aux expositions d’artistes émergents. 

 Qu’est-ce qui vous séduit le plus dans sa peinture ?

Le travail d’Elladj est d’une grande subtilité. À travers des détails, comme un objet, un motif, une matière, une posture, il tisse des liens entre des générations et des territoires. Il y a ce mélange constant de références qui se croisent et fusionnent pour créer quelque chose de nouveau et d’unique. Ce dialogue, fort et délicat à la fois, m’apporte énormément de réflexion sur le monde. Cette délicatesse, nous immerge à la frontière du réel et du rêve et il en ressort une beauté assez mystérieuse, un peu magique, qui m’émeut systématiquement.

En quoi Paris + est-il une place intéressante pour montrer un jeune artiste ? 

Une foire de l’envergure de Paris+ requiert avant tout des propositions d’une grande qualité. Au-delà de « jeune » ou « établi », j’avais surtout l’envie de montrer un projet fort et original. Elladj avait ce projet d’exposition très abouti avec un ensemble de grands formats, une série d’objets et de meubles fabriqués en collaboration avec des artisans ivoiriens et une scénographie très précise. Je me suis rapidement dit que ce projet méritait la visibilité internationale qu’offre Paris + et que c’était la suite parfaite à donner à la diffusion de ce travail, déjà très suivi au niveau international. 

Propos recueillis par Julie Chaizemartin

Anne-Claudie Coric (Galerie Templon) : « Un immense tableau de forêt enneigée de Philippe Cognée ». 

Le jour se lève, 2023, de Philippe Cognée. Peinture à la cire sur toile. 230 × 200 cm. Photo: Philippe Cognée Studio. 

Comment s’est effectuée la sélection des artistes présentés sur votre stand ?

Le choix des œuvres présentées reflète avant tout l’actualité de nos artistes et de la galerie, sa programmation tout comme sa philosophie. Nous allons ainsi dévoiler un grand tableau inédit de Gérard Garouste, réalisé juste après sa grande rétrospective de l’an passé au Centre Pompidou. À la suite des expositions au musée Bourdelle, au musée de l’Orangerie mais aussi au musée de Tessé au Mans, une œuvre jamais montrée de Philippe Cognée – un immense tableau de forêt enneigée – sera également mise en avant. Il en va de même pour les œuvres inédites de l’artiste américain Kehinde Wiley, auquel le musée du Quai Branly consacre une exposition, mais aussi de Jim Dine qui prépare une grande manifestation à Venise, au printemps prochain. Nous présenterons également un tableau d’Alioune Diagne, lequel va représenter l’année prochaine le Sénégal lors de la première participation de ce pays à la Biennale de Venise. 

Alioune Diagne est un jeune artiste….

Oui car la force de notre galerie réside dans sa capacité à pouvoir tisser un dialogue entre des artistes de différentes générations et de pouvoir ainsi exposer ensemble des artistes de 80 ans avec d’autres beaucoup plus jeunes comme Jeanne Vicérial, Omar Ba, Chiharu Shiota, Prune Nourry sans oublier Robin Kid.

Un mot sur Robin Kid, également mis à l’honneur dans votre galerie ?

Né en 1991, autodidacte, Robin Kid est un très jeune artiste d’origine néerlandaise, installé en France depuis une dizaine d’années. Empruntant au Pop art et inspirée de Jim Dine, son œuvre prend la forme d’installations spectaculaires et provocantes qui interrogent précisément la question des générations. Chacun de ses tableaux relève du panneau publicitaire, d’une affiche de film, mais aussi d’une sorte de mécano géant, soit d’un jeu géant pour adulte. Il s’intéresse ainsi à la violence de la jeunesse, au refus de vieillir et à cette sorte de nostalgie de notre société pour une enfance idéalisée. 

Propos recueillis par Maud de La Forterie

Jocelyn Wolff (Galerie Jocelyn Wolff) : “ Franz Erhard Walther, un artiste majeur ». 

Sechs Ummantelungen, 1998, de Franz Erhard Walther, fabric and steel, dimension of the piece installed: approx 310 x 259 cm  unique, courtesy of the artist and Galerie Jocelyn Wolff, photo : François Doury.

Comment avez-vous conçu votre présence à Paris+ ? 

Nous approchons toujours les foires avec le même objectif : donner un aperçu, sous une forme concentrée, du positionnement artistique de la galerie ; il ne s’agit pas de créer un effet spectaculaire, une gesticulation quelconque, mais de partager avec le public de la manière la plus sincère possible ce qui fonde notre identité : un fort intérêt pour la sculpture, l’art conceptuel historique, les relations sculpture et performance, la recherche plastique la plus exigeante. C’est un exercice de style que j’affectionne particulièrement, car si l’espace de la galerie est confié aux artistes, le stand de foire appartient au galeriste qui possède un savoir-faire et une expertise spécifiques en la matière ; si nous réussissons l’exercice, les retombées sont immédiatement mesurables. Certains voient la foire comme un espace de vente avant tout, ce que je respecte et comprends très bien. Ce n’est pas mon approche.

Quelle est la pièce maitresse de votre stand ? 

J’essaie le plus souvent de penser à une pièce très forte, en anglais on dirait une anchor-piece, une œuvre autour de laquelle je peux articuler une présentation. Pour Paris+ nous avons la chance d’avoir une nouvelle pièce de Franz Erhard Walther, un artiste majeur qui produit peut-être une nouvelle pièce tous les deux ou trois ans. Le stand est donc pensé en fonction de l’entrée dans notre inventaire de cette nouvelle production. Nous avons pensé un dialogue entre sculpteurs : Katinka Bock, Francisco Tropa, Harald Klingelhöller et Franz Erhard Walther. Nous aurons également une œuvre importante de Miriam Cahn.

Quelle est pour vous la particularité de Paris+ ?

C’est son positionnement dans une ville qui présente une surabondance d’expositions, avec une offre artistique sans équivalent à ce jour ; c’est une force, immense, mais aussi un risque car le public, s’il sera présent, sera également très sollicité, et il sera extrêmement compliqué de créer une attention sérieuse sur des œuvres exigeantes ; c’est malheureusement un contexte propice aux sous-productions spectaculaires.

Propos recueillis par Aude de Bourbon Parme

Franck Prazan (Galerie Applicat-Prazan) : « Sept peintures importantes de Jean Hélion ».

Abstraction, 1935, de Jean Hélion (1904 -1987). Huile sur toile. Signée, datée et annotée «B.78» au dos; signée sur la tranche 146 x 200 cm. 

Vous consacrez votre stand à sept peintures de Jean Hélion. D’où viennent-elles et que reflètent-elles ?

 Pour une galerie de second marché spécialisée comme la nôtre, construire un projet monographique tel que celui-ci n’est possible que dès lors que le temps a fait son œuvre ! Hélion, le Florilège n’est pas un projet ambitieux. C’est le projet dont l’avènement marque l’anniversaire de nos 30 ans ! 30 ans d’existence, 30 ans d’exigence ! À nos yeux, et pour les sept thématiques qui constituent la quintessence du travail de Jean Hélion – nous ne sommes pas une institution, et nous sommes donc accessibles aux partis pris ! -, il s’agit de ses sept plus importantes peintures en mains privées. En regardant mon père, là où il se trouve, je lui dis merci de m’avoir appris le vrai métier de marchand de tableaux.

 Les grands peintres modernes français semblent à nouveau avoir le vent en poupe. 

Depuis 30 ans, notre ligne n’a pas varié. Une hyperspécialisation qui conduit la galerie à concentrer ses compétences sur les grands peintres ayant travaillé à Paris après la seconde guerre mondiale : Jean Dubuffet, Jean Fautrier, Hans Hartung, Jean Hélion, Asger Jorn, Wifredo Lam, Alberto Magnelli, André Masson, Georges Mathieu, Serge Poliakoff, Jean-Paul Riopelle, Pierre Soulages, Nicolas de Staël, Maria Elena Vieira da Silva, Wols, Zao Wou-Ki… Une hypersélectivité qui la cantonne à leurs œuvres les plus qualitatives. Un propos orienté vers les collectionneurs et une vision à long terme propre à lisser les effets spéculatifs. Nous montrons ces artistes dans les plus grandes foires du monde, à Art Basel, Tefaf Maastricht et New York, Paris+… Nous aimons à penser que nous avons contribué à ce que le retard, en termes de marché, tende désormais à se combler entre leur valeur pécuniaire et celle de leurs alter egos américains.

Jean Hélion peut-il être qualifié d’illustre inconnu ?

Certainement pas ! Il est de toutes les avant-gardes, ayant pris plus que quiconque son temps à rebours. D’Abstraction-Création au retour déconcertant à la figure au début des années 40, il aura inspiré et continue d’inspirer des générations d’artistes, jusqu’à précéder l’avènement du Pop Art qui lui doit infiniment. Le marché ne demande qu’à embrayer. Tout comme les institutions ! La plupart des œuvres de notre exposition rejoindront les cimaises du Musée d’Art Moderne de Paris en 2024 à l’occasion de la grande rétrospective qu’il lui consacrera.

Propos recueillis par Julie Chaizemartin

Yves Zlotowski  (Galerie Zlotowski) :  « Le trop méconnu Jean Gorin ».

Jean Gorin, Composition spatio-temporelle multivisuelle N°142, 1976, Vinyle sur bois, 50 x 105 x 8,5 cm, Courtesy de la Galerie Zlotowski

Jean Gorin n’est peut-être pas un nom très familier aux oreilles du grand public…

C’est un artiste totalement abstrait, très inspiré et très proche de Mondrian. Après avoir pas mal navigué dans l’avant-garde, dans le cubisme, il découvre un jour dans un livre une œuvre de Mondrian. Il est ébloui et entame – on est à la fin des années 20 – une correspondance avec lui et, depuis, il a été complètement fidèle à ce monde qui s’est ouvert à lui, cette abstraction géométrique avec ses couleurs primaires très simples, très épurées. C’est vraiment un artiste français, né en province, très loin du monde de l’art, qui y est venu de l’extérieur, et qui est rentré de plain-pied dans l’avant-garde avec une vision très enthousiaste, très lyrique de celle-ci. Sa particularité, c’est de faire des reliefs en bois – du Mondrian en trois dimensions. C’était sa grande idée, et c’est une des parties les plus frappantes de l’œuvre. Il a commencé à les réaliser dans les années 30, les construisant toujours lui-même, et lorsqu’il n’en a plus été capable, à la fin, il est revenu à la peinture.

L’abstraction s’appuie souvent sur des considérations d’ordre philosophique – est-ce le cas chez Jean Gorin ?

« Philosophique », c’est peut-être un grand mot, mais il y a en tout cas chez lui une vision utopique de l’abstraction. C’est ce qui est très beau. Dans ses textes, dans son langage, il y a vraiment cette idée que l’abstraction donne accès à la vérité et va embellir et améliorer le monde. Une conception qui est liée à la vision des avant-gardes des années 20 et 30, qui donne un pouvoir presque politique à l’abstraction. D’ailleurs cette dernière est très liée à l’architecture : Gorin fera aussi de nombreux dessins et projets dans ce domaine. 

Rien à voir avec l’art pour l’art…

Rien du tout ! Et ce qu’il y a de très intéressant dans cette abstraction héritée de Mondrian, c’est qu’elle est très exigeante, qu’elle a l’air un peu abrupte, mais qu’elle a un côté un peu artisanal. Gorin fabrique ses reliefs en bois lui-même, et en les regardant, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une œuvre parfaite, très équilibrée, mais qu’il y a aussi un côté fait à la main, une présence humaine. 

Propos recueillis par Damien Aubel

Paris+ par Art Basel au Grand Palais Ephémère du 20 au 22 octobre. Plus d’informations