Après La Machine de Turing, succès théâtral qui lui a valu 4 Molières en 2019, Benoit Solès vient d’écrire une nouvelle pièce, La Maison du loup. On y retrouve le magnifique Jack London à la fin de sa vie, aux prises avec la difficulté de la création et de l’engagement. À découvrir au Théâtre Rive Gauche.

Par Oriane Jeancourt Galignani

Un écrivain retranché dans une maison au bout du monde. Dans la Vallée de la Lune, lieu difficilement accessible et propice aux songes, perdue dans les montagnes de l’Ouest. Une femme qui le soutient et tente d’enrailler son inexorable chute. Et un homme, un troisième homme, figure providentielle qui va rappeler l’écrivain à sa mission première : donner corps et voix aux damnés de la terre. Les trois personnages de La Maison du loup, dernière pièce de Benoit Solès, sont taillés dans une pierre brute, matière qui va rendre sur scène leurs affrontements étincelants. Et permettre à cette pièce d’une heure trente d’accomplir une traversée dans d’intenses sentiments humains : l’espoir, l’indignation, la renonciation, la création, l’amour. Et ce, à travers une histoire mythique car l’écrivain, c’est Jack London, au sommet de sa gloire : il est alors l’écrivain américain le plus lu au monde ( et l’est toujours apprend-on à la fin de la pièce).  Installé dans le « château » qu’il s’est fait construire sur ses terres de Californie, lieu où il rêvait de mener une vie simple, en pleine nature, l’auteur de près de cent livres traverse alors les dernières années de sa vie, à bout de souffle, rongé par l’alcoolisme et les maladies rapportées de ses voyages. Amaury de Crayencour incarne avec force et rudesse ce London affaibli, mais pas encore à terre, jusque dans une scène finale où il déploie toute la puissance secrète qu’un écrivain comme London peut porter en lui.  La femme qui vit avec lui, Charmian, s’impose comme son ange moralisateur qui permet au spectateur de saisir le passé de London, leur union, et sa chute. Benoit Solès l’a imaginée en femme de caractère, ce qu’elle était sans doute à voir son regard sur les quelques photographies d’époque, et la manière dont elle a tenu jusqu’au bout face à London. Anne Plantey lui confère ainsi un courage émouvant, soulignant le dévouement choisi de cette femme qui jusqu’au bout accompagnera son mari. Entre eux deux, le personnage le plus inattendu de la pièce est celui qui va bouleverser l’ordre établi dans le couple : Ed Morrell, ancien détenu, vient appeler Jack London à l’aide de son ancien codétenu, Jacob, condamné à mort dans une prison de l’Etat. Personnage qui aurait inspiré le dernier roman de London, Le Vagabond des étoiles, Ed Morrell devient dans la pièce une figure bouleversante, héros d’une histoire digne des plus grands romans d’aventures, n’ayant rien à envier au Papillon d’Henri Charrière, ou aux figures de damnés de ….Jack London. Or, ce personnage réussira-t-il à rappeler une dernière fois Jack London à ses engagements humanistes abandonnés ? Benoit Solès, dans son écriture comme dans son jeu, puisque c’est lui qui incarne Ed, parvient à donner une ampleur romanesque à un personnage à l’histoire précisément documentée, offrir à une figure réelle une présence héroïque qui le lie aux plus fameux personnages de la littérature classique. Une scène inouïe voit ainsi Solès/Ed replonger dans le souvenir de la torture qu’il a subi en prison, et la manière par laquelle il parvient à s’en évader par l’esprit. Car c’est bien là le sujet de cette pièce : la puissance de l’esprit, qu’elle soit celle de l’écrivain, ou du prisonnier qui ne devient pas fou, même sous la torture.  Question qui traversait aussi La Machine de Turing, rétribuée du succès que l’on connaît. Benoit Solès fait preuve dans La Maison du loup d’une semblable vigueur narrative, d’un sens de l’affrontement entre personnages, notamment au sein du couple, d’une écriture au plateau judicieusement rythmée, d’un lyrisme tenu auquel il lâche prise par instants, qui permet à cette pièce de nous tenir haleine de bout en bout. La mise en scène de Tristan Petitgirard, qui semble riche dans la direction des acteurs, mais assez conventionnelle dans la scénographie, prend peu à peu de l’ampleur, grâce à un écran en fond de scène qui nous projette dans le passé fantasmatique de London, ou lors de jeux de lumières savamment réfléchis. Bref, La Maison du Loup a le charme des grandes histoires en peu de mots, de celles qui nourrissent les romans de Jack London, de grandeur et de chute. 

La Maison du Loup, de Benoit Solès, mise en scène Tristan Petitgirard, Théâtre Rive Gauche, Paris 14, http://www.theatre-rive-gauche.com