Fake news et paresse intellectuelle au rendez-vous.

A l’heure où Sophie Calle s’empare des salles du musée Picasso, où le peintre africain-américain Kehinde Wiley rayonne au musée du Quai Branly et où le musée d’Art moderne de Paris consacre une première grande exposition française à la fantastique artiste américaine Dana Schutz, un article des Inrockuptibles, signé Ingrid Luquet-Gad, évitant soigneusement de citer ces trois exemples actuels, taxe la rentrée muséale française de rétrograde, insultant au passage l’ensemble des institutions parisiennes. En cause : une programmation qui mettrait trop à l’honneur d’affreux mâles blancs et morts, ayant eu le malheur de révolutionner l’histoire de l’art, mais ce dernier argument évidemment n’a plus cours, la qualité artistique ne pesant plus rien dans la balance au regard des considérations sociétales de genre et de race. Des valeurs sûres, donc forcément des refuges ringards à toute ouverture d’esprit et toute modernité – lisons plus clairement ici toute branchitude et tout wokisme – qu’il ne faudrait plus exposer au mur des cimaises, puisqu’il est bien entendu que notre époque se doit de ne montrer que des minorités oubliées, celles-ci pouvant être mauvaises en peinture d’ailleurs, pour les Inrockuptibles, là n’est plus la question. N’allez donc surtout pas admirer Modigliani à l’Orangerie, Picasso et Chagall à Beaubourg, de Staël au musée d’Art moderne de Paris ou Rothko à la Fondation Vuitton, car vous serez passéiste, traditionaliste. Pire, vous pourrez être assimilé au mouvement #tradwife qui prend de l’ampleur aux États-Unis, cible l’article, en dénonçant le basculement réactionnaire et conservateur de cette frange de la population, sans en analyser les véritables raisons. Et cela même si vous avez été subjugué par Shirley Jaffe, Germaine Richier et Alice Neel au même Centre Pompidou il y a à peine quelques mois (sans remonter à Elles font l’Abstraction et Georgia O’Keeffe en 2021), Faith Ringgold au même musée Picasso, Rosa Bonheur au musée d’Orsay, Toyen ou Anna-Eva Bergman au musée d’Art Moderne de Paris, Pionnières, artistes dans le Paris des Années folles au musée du Luxembourg, les femmes surréalistes au musée de Montmartre, Joan Mitchell – qui n’aurait peut-être pas due être mise en dialogue avec Monet, si l’on suit la logique stupide de cet article – à la Fondation Vuitton. Faut-il réellement rappeler le nombre incroyable d’expositions de qualité en musée et en galeries qui se sont enfin penchées sur les femmes artistes ainsi que sur les artistes contemporains africains ces deux dernières années ? Au point même que parfois l’overdose et l’opportuniste ont guetté. Faut-il aussi rappeler combien le marché de l’art a explosé ses records sur ces deux segments ? À l’appui de sa démonstration, l’article assène enfin l’argument d’un faux hasard de calendrier, comme si l’ensemble des musées parisiens s’était entendu il y a près de 3 ans (c’est le temps qu’il faut pour monter des expositions de cette ampleur afin d’obtenir les prêts des œuvres) pour ne montrer que les grands monstres sacrés du 20ème siècle en cette rentrée 2023, autant dire un vrai complot ! Rappelons que la dernière exposition sur Rothko à Paris (au musée d’Art Moderne de Paris) a eu lieu en 1999 et que celle sur de Staël (au Centre Pompidou) remonte à 2003 : on est ici loin de l’overdose ! « Depuis une quinzaine d’années, en France et à l’international, le nombre de commissaires d’exposition croît et la parité de la profession progresse puisque les femmes occupent aujourd’hui 56 % des postes », notait le colloque « Art : genre féminin », organisé en 2018-2019 avec l’association Aware, à la Monnaie de Paris. Par ailleurs, l’Observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture relève en 2023 que 68 % de femmes sont à la tête des 41 musées nationaux contre 41 % en 2019. Et si les efforts ne doivent en aucun cas ralentir pour rendre visibles les œuvres des artistes femmes, cela ne signifie pas qu’il faille nier l’histoire de l’art et reprocher aux musées l’organisation d’expositions sur de grands artistes qu’ils soient hommes ou femmes.