Avec Le Procès Goldman, Cédric Kahn signe un film réussi dans ses trois dimensions : judiciaire, théâtrale, cinématographique.
Activiste d’extrême-gauche, voyou, écrivain-penseur talentueux, Pierre Goldman était un personnage multi-dimensionnel, difficile à enfermer dans une morale simpliste. Le film se consacre à son second procès, celui où accusé de quatre braquages (qu’il reconnaissait) et du meurtre de deux pharmaciennes (qu’il niait), il fut acquitté (pour les meurtres). À l’exception d’une scène d’ouverture dans le bureau des avocats de Goldman, Cédric Kahn a choisi de demeurer dans l’enceinte du tribunal, une option radicale et totalement payante. Ce huis clos permet de surligner sans effets redondants la proximité entre la scène judiciaire et les planches théâtrales, deux lieux où chacun joue son rôle, où la parole et son élocution sont fondamentales. Dans le film, cette parole performative est fantastique, un spectacle en soi, extraite des minutes du procès et retravaillée par Kahn et sa coscénariste Nathalie Hertzberg, énoncée par des actrices et acteurs exceptionnels du premier au dernier rôle, à commencer par Arieh Worthalter (Goldman), Arthur Harari (Kiejman, son avocat) ou Nicolas Briançon (Garaud, l’avocat de la police), mais il faudrait pouvoir tous les citer. Quand Goldman/Worthalter clame « je suis innocent parce que je suis innocent », on aurait presque envie de le croire contre toute raison et toute absence de preuve de cette innocence, et c’est autant un hommage à la puissance de conviction de Goldman qu’à la puissance d’incarnation de Worthalter. Ce théâtre judiciaire, ou ce procès rejoué et théâtralisé, c’est aussi du grand cinéma par ses jeux de gros plans, ses champs-contrechamps qui ne sont pas toujours synchrones des témoignages, questions ou plaidoieries, ses plans de coupe vers le public présent dans le prétoire (l’audience des audiences) qui réagit parfois bruyamment en fonction de ses convictions morales ou penchants politiques. Sèche, acérée, rigoureuse, la mise en scène ne se départit pas d’une épure qui peaufine, aiguise, met en valeur la scène judiciaire et les points de vue et paroles qui s’y affrontent. On retrouve ici comme une version chimiquement pure du Cédric Kahn de Roberto Succo, Vie sauvage ou La Prière. Le cinéma, c’est également tout le système d’échos que renvoie le film à notre présent le plus immédiat, par exemple à travers la question du racisme sévissant au sein de la police. Finalement, on ne sait toujours pas si Goldman était innocent ou coupable de ce double meurtre, on ne le saura jamais et Kahn se garde de trancher : on sait seulement que le talent de Kiejman et le soutien de la gauche (Simone Signoret, Régis Debray, Libération…) ont conduit à l’acquittement. La justice peut parfois se tromper, être lente, inefficace, reproches que l’on entend toujours bruyamment aujourd’hui, certes… Mais quoi d’autre à la place ? La justice personnelle, la rumeur publique, la vengeance ? Comme celle qui a conduit un mystérieux groupe d’extrême droite à dessouder Pierre Goldman trois ans après sa sortie de prison ? Même imparfaite, la justice reste une institution nécessaire semble dire (entre autres) ce film puissant, aussi austère dans sa forme que spectaculaire dans les effets qu’il produit.