Rival d’Offenbach, Charles Lecoq a composé un des opéras les plus populaires du siècle dernier, La Fille de Madame Angot, recréé aujourd’hui à l’Opéra Comique.
Plus encore que le répertoire « sérieux », la musique légère est un miroir de son époque. C’est par la légèreté que passe la satire (qui permet de railler les puissants) ou le pur plaisir populaire (qui permet d’égayer la foule).
En 1872, la foule bruisse encore des traumatismes de Sedan et des cendres de la Commune. On a reproché à Offenbach -Allemand malgré lui- d’avoir étourdi la France du Second Empire : trop de grimaces, trop de moqueries, trop de farces à tiroir. Tandis que naît -aux forceps- la Troisième République, il faut des œuvres légères et de bon aloi, sans sous-entendu politique, avec une musique claire et joyeuse, propre à apaiser les plaies de deux années de cauchemar. C’est ainsi que le compositeur Charles Lecoq et son librettiste Clairville élaborent cette Fille de Madame Angot, qui va devenir l’une des opéras les plus populaires du demi-siècle suivant. Ici, tout est astucieusement calibré pour plaire : musique élégante et entrainante, véritable raffinement orchestral, et livret qui reste dans les limites du bon goût. Exit les clins d’œil en rafale de Meilhac et Halévy (librettistes d’Offenbach). L’action est un chassé-croisé amoureux et parisien, durant le Directoire. On y sent planer l’ombre fourbe de Barras, on y croise le fameux chansonnier Ange Pitou, et l’on s’y promène du carreau des Halles aux ruelles de Belleville, au gré des valses et des refrains. Il n’y a pas ici le génie d’Offenbach ou de Chabrier, ni la verve potache d’un Varney (Les mousquetaires au couvent) mais cette Fille est vraiment ce qu’on appelle une œuvre charmante.
L’idée de transposer l’action durant Mai 68 était en soi astucieuse. Pour un opéra-comique composé juste après la Commune et qui se déroule au crépuscule de la Révolution, cela pouvait sembler cohérent. Et les beaux décors et costumes de Bruno de Lavenère jouent avec humour sur l’esthétique des sixties. La mise en scène de Richard Brunel hésite à aller jusqu’au bout de son idée. Mai 68, ce ne sont pas simplement des banderoles : c’était un temps de rage et d’excès, c’est-à-dire l’inverse de l’œuvre de Lecoq. Si bien qu’on se trouve à mi-chemin, entre plusieurs options. Mais tout cela regorge de références amusantes, notamment au cinéma de l’époque (Les Demoiselles de Rochefort). Et on ne saurait bouder son plaisir car ce spectacle est, on l’a dit, charmant.
La québécoise Helène Guilmette est une Clairette vive et engagée, toute en joyeuse pétulance. Face à elle, on regrette que Véronique Gens, au timbre toujours superbe mais un brin hautain pour ce répertoire, manque de vis comica dans le rôle de Mademoiselle Lange. Excellents Pomponnet de Pierre Derhet, Ange Pitou de Julien Behr et Larivaudière et Mathieu Lécroart.
Dans la fosse, Hervé Niquet -qui adore s’encanailler dans la musique légère- s’amuse et défend la partition avec panache et passion. On le sent particulièrement inspiré dans les grands ensembles et certains interludes orchestraux qui sont, soulignons-le, de toute beauté. Mais au terme d’un tel spectacle on se dit que si Lecoq fut le grand rival d’Offenbach -sur qui il écrivit d’ailleurs de vraies horreurs- jamais il n’égala son maître. Charmant, simplement charmant.
La fille de Madame Angot à l’Opéra Comique jusqu’au 5 octobre, plus d’informations
Direction musicale Hervé Niquet • Mise en scène Richard Brunel • Avec Hélène Guilmette, Véronique Gens, Pierre Derhet, Julien Behr, Matthieu Lécroart, Floriane Derthe, Ludmilla Bouakkaz, Antoine Foulon, Geoffrey Carey, Matthieu Walendzik, François Pardailhe • Orchestre de chambre de Paris • Chœur Le Concert Spirituel