Arts emblématiques de la culture japonaise, le nô et le kyogen sont à la fête en cette rentrée à la Philharmonie de Paris avec une programmation représentative de la vitalité d’une tradition multiséculaire.

On l’ignore parfois, mais un art aussi réputé que le nô a failli un jour disparaître. Cette forme théâtrale née au Japon au XIIIe siècle de la conjugaison de deux traditions, les pantomimes dansées et les chroniques en vers récitées par des bonzes, est aussi à l’origine d’autres genres dramatiques comme le kabuki. Le répertoire du nô théorisé par l’acteur et dramaturge Zeami (1363-1443) à qui l’on doit la moitié du répertoire actuel s’est fixé vers la fin du XVIe siècle. À cette époque le théâtre nô disparaît de l’espace public, n’étant plus joué que sous forme d’art officiel dans les palais dans des versions au classicisme de plus en plus étriqué. Mais c’est vers la fin du XIXe siècle que le nô connaît sa plus grande crise, faute de protecteurs haut placés. C’est grâce à l’acteur Umewaka Minoru (1828-1909), champion inlassable d’une tradition qu’il ne se contente pas d’enseigner, mais défend avec acharnement, que la cour impériale protégera à nouveau le théâtre nô. 

Sans cette décision, peut-être n’aurait-on jamais eu la chance de découvrir à nouveau sur des scènes françaises, certains des représentants les plus éminents d’un art désormais emblématique de la culture japonaise. Assister à une pièce de nô ou de kyôgen qui en est le pendant comique – les deux étant parfois mêlés – est une expérience hors du commun. Le nô par ses codes précis et son dépouillement, par ses passages obligés comme par son inventivité se révèle un stimulant puissant pour l’imagination du spectateur. La sélection très riche proposée en cette rentrée par la Philharmonie est d’autant plus intéressante qu’elle met en valeur plusieurs aspects de cet art où la musique et le chant ont aussi une place de choix. Le fait de programmer successivement les pièces Funa Watashi Muko et Sumidagawa, la première étant une pièce de kyôgen et la seconde une pièce de nô, éclaire précisément la tension parfois ironique entre ces deux formes. Ces spectacles sont introduits par un Kami-Uta « Chant pour les dieux » a cappella rappelant les origines religieuses de cet art. Puis avec Funa Watashi Muko, on assiste à une parodie de la gestuelle épurée du nô mettant en scène un gendre embarqué à bord d’un ferry dont le batelier ivre se révèle son beau-père. Plus sombre, Sumidagawa raconte la quête d’une mère à la recherche de son fils, lequel lui apparaît sous la forme d’un spectre. Les pleurs muets de la mère somptueusement vêtue, la lenteur toute en retenue de sa gestuelle, le lyrisme du poème chanté, contribuent à la puissante expressivité de cette pièce. 

Impossible évidemment de détailler la totalité d’une programmation représentative de la vitalité du nô contemporain. Signalons néanmoins une autre œuvre significative de la façon dont l’univers du nô met en scène les relations non seulement entre les vivants et les morts, mais entre les humains et les esprits et autres créatures fantastiques. En témoigne Tsuchigumo (L’Araignée de terre) où un puissant guerrier muni d’un sabre magique combat une araignée géante d’abord apparue sous la forme d’un moine. Il s’agit ici de ce que l’on désigne comme un « nô de démon » dont l’action culmine avec la danse frénétique de l’araignée au masque terrifiant dans le tourbillon de la flûte et des tambours. Enfin, last but not least, cette programmation sera l’occasion d’entendre la chanteuse et joueuse de koto, Etsuko Chida qui interprètera des suites vocales inspirées, entre autres, du Dit du Genji, en jouant d’un instrument datant de 1780 appartenant au Musée de la musique.

Théâtre nô et kyogen, à la Philharmonie de Paris, Paris, du 22 au 24 septembre. Plus d’informations