49 ème Festival du cinéma américain de Deauville, du 1er au 10 septembre.

Cette année, les stars américaines étaient absentes des planches en raison de la grève à Hollywood. Mais ce que le tapis rouge a perdu en taux de paillettes a été formidablement compensé par des salles régulièrement pleines et une augmentation de 20% de la billetterie : malgré l’absence des têtes d’affiche, le public de Deauville a pris le pli de venir voir des films américains indépendants portés par des acteurs peu connus et c’est là une excellente nouvelle, qui a impressionné tous les réalisateurs présents sur le mode « waow, 1200 personnes se sont levées ce matin pour venir voir mon film ?! Incroyable, fantastique, vive la culture cinéphile française ! ». A Deauville, le cinéma prend le pas sur le people et il faut rendre grâce au travail de longue haleine du directeur du festival,Bruno Barde. Comme chaque année, la compétition proposait une palette variée en genres et en qualité. Si certains films véhiculaient une certaine bêtise américaine éternelle composée de religiosité et de pathos tire-larme à trois balles, quatre œuvres se sont détachées aux yeux du jury de la critique dont faisait partie votre serviteur, quatre films qui ont trouvé un distributeur français et sortiront sur nos écrans dans les semaines ou les mois à venir. 

Past lives – nos vies passées de l’américano- coréenne Céline Song est un subtil mélo en sourdine. A travers les amours platoniques entre un Coréen et une Coréenne partie vivre aux Etats-Unis, relation déployée sur 24 ans, le film explore l’exil, la double-culture, le travail du temps et la tension entre liberté et déterminisme. La mise en scène de Celine Song est délicate, pudique, peut-être un brin trop sage mais déjà clairement le geste affirmé d’une cinéaste mûre. 

La Vie selon Ann de Joanna Arnow et Fremont de Babak Jalali appartiennent à la catégorie du cinéma dit minimaliste, quasi- conceptuel, composé de succession de plans fixes. Plus ou moins autobiographique, La Vie selon Ann montre le quotidien d’une trentenaire new-yorkaise qui aime jouer la soumise dans sa vie sexuelle, mais apprécie moins la soumission à la hiérarchie dans le  travail ou le poids de l’amour dévorant et malhabile de ses parents. Très audacieux et radical, tant thématiquement qu’esthétiquement, ce film est à la fois désespéré et drôle, évoquant pêle-mêle Chantal Akerman, Lena Dunham ou le Jarmusch des débuts, pratiquant un humour infra et slowburn assez réjouissant. La limite du film, c’est que dans son détachement souverain, on ne sait jamais ce qu’éprouve Ann sexuellement et affectivement. De plus, cette succession de vignettes semble ne pas suivre d’arc narratif : proche d’une performance d’art contemporain, ce film pourrait durer une heure de moins, ou de plus. Moins radical mais plus convaincant et réussi, Fremont est également jarmuschien, tendance kaurismakienne, dans son mix de mélancolie et d’humour à froid. Tourné en format 4/3 et en noir et blanc, le film s’attache à une émigrée afghane qui travaille à San Francisco dans une fabrique de fortune cookies. Cette femme est esseulée mais loin d’être regardée comme une victime. Sur un tel sujet, qui pourrait sembler austère ou ennuyeux, Babak Jalali réussit un film étonnamment léger, bourré de grâce, d’invention et de drôlerie pince-sans-rire. 

Fremont est bon mais c’est un autre titre-bled américain qui a dominé la compétition et rallié tous les suffrages : Laroy, premier film d’un certain Shane Atkinson, a non seulement raflé le Grand Prix, mais aussi le Prix de la critique et le Prix du public, un genre d’exploit. Il faut dire que ce mix de comédie, de polar et de western est une réussite totale, comme si les Ethan et Joel Coen avaient un troisième frère caché : scénario virtuose,personnages qui ne sont jamais ce qu’on croit, ambiance de smalltown avec motels miteux, bars topless, vies étriquées de Homais et Bovary texans, magouilles et quiproquos divers autour d’un grisbi, le tout filmé et monté avec la précision d’un horloger suisse. Rien de neuf sous le soleil du Texas, certes, mais c’est tellement bon d’être empoigné par une histoire prenante et de pisser de rire toutes les deux séquences. Public et critiques pour une fois à l’unisson ne s’y sont pas trompés : Laroy était le roi de Deauville 2023.