Comme chaque année, la nouvelle saison de l’Opéra National du Rhin s’ouvre sur une création. Don Giovanni aux enfers est une œuvre monstre, de Simon Steen-Andersen, compositeur danois, vidéaste, librettiste, metteur en scène et… archiviste des démons.

Comment est né ce projet d’une suite au Don Giovannide Mozart ?

J’avais depuis longtemps l’idée d’une pièce qui commencerait par la dernière scène de Don Giovanni, qui suivrait le personnage aux enfers et serait le prétexte à une réutilisation, de manière surréelle et onirique, de 400 ans de répertoire opératique lié à l’au-delà. En 2016, j’ai reçu une commande pour une petite scène, mais je me suis rendu compte qu’il faudrait voir plus grand. J’ai donc noué des contacts avec le Royal Danish Opera. Et Stéphane Roth, le directeur du festivalMusica, nous a mis en relation avec l’Opéra National du Rhin pour une co-production. La première mondiale aura lieu à Strasbourg, puis l’opéra sera joué en avril à Copenhague, avec le même chef, le formidable Bassem Akiki, et deux des mêmes chanteurs, mais avec des vidéos différentes.

Pourquoi ces modifications visuelles ?

Parce l’intrigue se passe dans les coulisses et les sous-sols – les enfers ! – de chacune des maisons. J’ai donc réalisé un film par site. Mais ce film permet aussi d’entrer dans l’esprit d’un chanteur qui vient d’interpréter Don Giovanni et qui tout à coup se remémore ses rôles passés, de manière cauchemardesque. La musique vient à la fois de la fosse d’orchestre, de la scène avec les chanteurs et de la vidéo. L’opéra lui-même devient le décor. Environ 35 % de l’action est projeté, le reste a lieu sur scène, et souvent, les deux interagissent. 

Comment êtes-vous devenu à la fois compositeur et vidéaste ?

J’ai toujours été intéressé par le caractère physique de la performance musicale. Ado, j’écrivais de la musique en utilisant des samples, je jouais de la guitare, j’expérimentais sur mon ordinateur, je faisais du rock. C’était un tout. Pour ce projet de Don Giovanni, je n’ai pas d’abord écrit un livret, puis conçu la mise en scène, puis la musique, puis les vidéos. Tout est lié et surgit en même temps. Certes, j’ai étudié la composition, mais je continue de m’intéresser aux arts visuels. Et je n’ai jamais accepté que des commandes qui me laissent carte blanche, afin de garder ma liberté. 

Est-ce le premier opéra que vous composez ?

Oui et non. J’ai déjà travaillé sur des scènes d’opéra, mais avec des acteurs et non des chanteurs. Avec The Loop of the Nibelung, par exemple, j’ai fait un projet virtuel avec des musiciens, au Festspielhaus de Bayreuth. Mais Don Giovanni aux enfers est-il vraiment un opéra ? Pour cette production, j’utilise exclusivement des passages issus d’une trentaine de grandes œuvres : Mozart bien sûr, mais aussi La Damnation de Faust de Berlioz, Robert le diable de Meyerbeer, Faust de Gounod, L’Ange de feu de Prokofiev, Mefistofele de Boito, Alceste de Lully, du Verdi, du Puccini, du Bizet, pour finir avec une sortie des enfers issue de plusieurs Orphée, de Monteverdi à Rameau… J’ai produit un travail d’archiviste pour obtenir ce feuilleté d’œuvres. Mon diable est un condensé de 19 personnages du répertoire. Je n’ai pas composé une seule note, je n’ai fait que les amplifier, les modifier, les mettre en scène. Par exemple, en poursuivant une séquence chromatique descendante sur plusieurs minutes jusqu’à atteindre le son le plus bas que puisse produire l’orchestre. Parfois, je ne change rien à la musique mais j’en change la fonction. Ce peut être en plaçant un aria d’amour dans un contexte terrifiant. Dans la fosse, l’orchestre joue sur instruments classiques, mais quand l’action se déroule aux enfers, le son est intensifié, comme au cinéma. Sur le plateau, cinq musiciens manient des instruments étranges que nous avons fabriqués, inspirés de tableaux de Jérôme Bosch. Il y a aussi des effets sonores, de la musique électronique, de la techno, des voix diaboliques typiques des films d’horreur des années 70, du heavy metal, de l’auto-tune… La difficulté, avec un projet aussi fou, c’est de ne pas faire de compromis !

Don Giovanni aux enfers, Simon Steen Andersen, création mondiale, direction musicale Bassem Akiki, Opéra National du Rhin, Strasbourg, du 16 au 21 septembre.
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