L’un des plus grands peintres contemporains allemands est pour la première fois montré en France. Le MO.CO répare cette injustice dans une ambitieuse rétrospective.

Depuis un an et l’arrivée de Numa Hambursin à sa tête, le MO.CO nous habitue à une programmation qui sort des sentiers battus. Après l’exposition sur Berlinde de Bruyckere, artiste flamande peu connue du public, et l’exposition Immortelle de ce printemps révélant une génération de peintres figuratifs français boudés par les institutions, le centre d’art montpelliérain poursuit sa quête de réhabilitation picturale en présentant la première rétrospective muséale française du peintre allemand de 63 ans, Neo Rauch. 117 œuvres pour 30 ans de création. « Je suis très heureux d’être enfin arrivé en France » a exprimé l’artiste. C’était en effet inespéré. Numa Hambursin ayant dû le convaincre, se déplaçant jusque dans son atelier de Leipzig, aidé par le contexte actuel favorable à la peinture figurative et permettant de dévoiler cette mystérieuse légende outre-Rhin. Car les amoureux de la peinture le savent : Neo Rauch est une figure tutélaire confidentielle que les jeunes peintres des années 1980 – ceux justement montrés dans l’exposition Immortelle – ont idolâtrée, en secret, comme un « talisman », confie le directeur. D’autant que pour se confronter à ses toiles, la seule solution était d’aller dans les musées américains ou en Allemagne, là où l’artiste est une star. En France, seules trois toiles furent aperçues dans l’exposition Cher Peintre au Centre Pompidou en 2002. Depuis, plus rien.

     La curiosité est donc la première raison de notre déplacement à Montpellier. On y a découvert des toiles immenses, aux couleurs improbables, incroyablement épiques dans leur composition, maîtrisant à la perfection les jeux d’échelle et de perspective, entremêlant avec brio les références à Goya, Courbet, Balthus, Beckmann ou au pop art. L’œil ne sachant plus où donner de la tête. Surréaliste et breughélienne, teintée d’un insondable fond de réalisme socialiste, la peinture de Neo Rauch a la robustesse wagnérienne de la culture allemande enveloppée dans une fantasmagorie énigmatique. L’art de faire s’animer les fantômes ? Le rêve est en effet le grand sujet de Rauch, ou plutôt le mécanisme « du songe de la raison qui engendre des monstres », pour reprendre le titre d’une célèbre gravure de Goya qui donne son titre à l’exposition. À l’appui de son esthétique extravagante, il cite aussi Gérard Garouste et Francis Bacon, expliquant que la modernité l’a immédiatement attiré lorsqu’à la chute du mur de Berlin, il cherche une porte de sortie, afin de se défaire de l’académisme de l’École de Leipzig dont il est un des grands représentants, influencé par l’imagerie vintage et la bande dessinée. Mais il nous est aussi apparu comme l’orchestrateur d’un réalisme magique baigné d’une mélancolie tragique. L’homme se trouve pris dans des jeux vains et de fausses utopies ouvrières, sur le fil de la décadence. Sa touche enlevée conte des fables animées de personnages hybrides, d’anges déchus, de crieurs inaudibles, de grands travaux inachevés, d’expériences scientifiques occultes et de soldats de bois. Dans une petite toile iconique, muni d’un appareil à détecter les mines, l’artiste cherche la meilleure manière de peindre sans s’attirer les foudres des critiques et du politiquement correct : « On traverse la société sur la pointe des pieds mais l’œuvre se crée » ironise-t-il. Sous la fable, le réalisme grince.

Neo Rauch, Le Songe de la raison, du 8 juillet au 15 octobre, MO.CO, moco.art