Emmanuelle Léonard a suivi des militaires en Arctique. Visibles au Centre Culturel Canadien, ses photographies et vidéos révèlent la nécessaire interdépendance des communautés. 

Des militaires en uniforme Grand Froid posent devant l’appareil. Ils sont méconnaissables, interchangeables. L’un d’eux se démasque et laisse apparaître son visage souriant. Plus loin dans l’exposition, la caméra d’Emmanuelle Léonard les filme pendant leurs manœuvres au milieu d’étendues de neige à perte de vue. Au même moment, d’autres individus s’attèlent à réparer des camions, à répertorier des échantillons d’eau prélevée. A l’étage supérieur du Centre Culturel Canadien, la rencontre avec ces hommes et ces femmes se fait plus intime. Ils se révèlent, partagent leur ressenti face à l’immensité glaciale du Haut-Arctique. Ils viennent du Sud du Canada, parfois de plus loin, des Philippines. Ils découvrent ces paysages.

Pendant trois semaines, l’artiste canadienne est partie en résidence dans le camp militaire des Forces canadiennes dans la région du Nunavut. Elle les a suivies, les a filmées, comme elle l’a fait par le passé avec une communauté catholique, des travailleuses sociales ou des collégiennes. « Je travaille souvent sur des groupes sociaux de milieu assez différents. J’observe ce qu’il se passe, sans aucune prétention de recherche scientifique ». Ce qui l’intéresse en premier lieu ? La manière dont un contexte, ses contraintes, peut donner une forme particulière à ses images. Parfois le réel résiste. Lorsqu’on lui interdit de photographier la dernière usine automobile General Motors au Quebec, elle décide de travailler avec le syndicat. Lorsqu’elle ne peut photographier les photographies policières de scènes de crimes, elle utilise un appareil de reproduction à disposition mais de mauvaise qualité qui va marquer ses images. « La même chose avec le grand nord. L’image n’est pas stable, elle est parfois floue, le vent fait bouger la caméra. Tout cela participe à l’esthétique ». 

Au-delà de la plastique, la question des groupes sociaux permet à Emmanuelle Léonard de scruter l’être humain. « Je m’intéresse à cette tension entre le groupe et l’individu. Mais aussi à ces glissements qui révèlent l’individualité ». Tel ce jeune homme avouant sa déception de ne pas avoir assister à la chasse d’un phoque. Ou un autre s’émerveillant de la beauté des paysages. Emmanuelle Léonard insiste sur les moments d’attente, en suspens. Elle capte la sincérité de ces micro-instants de relâchement, de disparitions fugaces de la maîtrise, que ce soit face au contexte de la prise de vue ou face à la représentation de soi en tant que membre d’un groupe codifié et hiérarchisé. 

Cette série est enfin traversée par les questions géopolitiques liées à l’Arctique, de gouvernances, de ressources, de revendications territoriales d’une population inuit, exacerbées par le réchauffement climatique. Emmanuelle y a constaté l’interdépendance entre tous les individus présents : les chercheurs étudiant les déplacements, les cargos chargés d’énormes conteneurs d’eau destinés aux mineurs sont acceptés par ceux-ci, de même que le sont, par les habitants locaux, les militaires dont certains sont Inuits. Ces images sont parfois déroutantes. Parce qu’elles regorgent de détails, sans hiérarchie. L’artiste ne guide pas notre regard. Elle cadre une situation, à chacun de la décrypter. 

Emmanuelle Léonard, Le Déploiement. Jusqu’au 14 novembre. Centre Culturel Canadien. canada-culture.org