Le cinéaste Roman Polanski et le photographe Ryszard Horowitz reviennent à Cracovie, lieu de leur enfance marquée par le nazisme.

Aujourd’hui, le nom Polanski sent le soufre et Promenade à Cracovie semble en faire les frais, subissant des conditions de diffusion réduites et une couverture médiatique prenant mille pincettes. Or, s’il a été l’agresseur sexuel de Samantha Geimer, nous n’oublions pas qu’il fut aussi un gamin pourchassé par la machine de mort nazie, où un jeune amant et presque père foudroyé par le massacre de sa compagne Sharon Tate par la sanguinaire secte Manson.

Promenade à Cracovie permet justement de revenir vers l’enfance de Polanski marquée par le nazisme. Le retour vers les origines et le « mal » se fait en compagnie du photographe Ryszard Horowitz, ami d’enfance du cinéaste. Les réalisateurs Mateusz Kudia et Anna Kokoszka-Romer suivent les deux hommes égrenant leurs bribes de souvenirs dans les rues de la cité polonaise, retrouvant certains des lieux où ils ont grandi, font les 400 coups, soufferts, été pris dans des évènements historiques d’une extrême brutalité dont ils ne comprenaient pas bien à l’époque tous les tenants et aboutissants.

Disons-le, Promenade à Cracovie n’est pas d’un immense intérêt cinématographique : la réalisation est banale, voire scolaire (quand un souvenir est évoqué, on envoie les images d’archives qui lui correspondent…), le montage parfois un peu confus et trop empressé manque de respiration… Pourtant, malgré cette réalisation trop télévisuelle, le film est intéressant. Ce qui frappe par exemple, c’est l’absence totale de pathos de la part de Polanski, un trait d’ailleurs noté par Horowitz à un moment du film. Pudeur ou endurcissement, l’auteur de Répulsion a beau raconter des épisodes terribles sur les lieux mêmes où ils se sont produits (l’arrestation de sa mère, puis de son père, la survie dans le ghetto…), l’émotion affleure très rarement dans sa voix ou son visage, ne parlons même pas de larmes : on se souvient juste d’un léger voile de tristesse dans son regard en évoquant sa mère arrêtée pour être déportée à Auschwitz. On retrouve là un trait propre au cinéaste et à ses films, une façon de ne pas ciller face à la dureté, à la cruauté – un élément de sa personnalité qui s’est probablement forgé durant cette petite enfance sous la botte nazie. Autre caractéristique polanskienne qui rejaillit ici, l’humour noir : la façon dont il raconte en mode farce macabre le rapatriement du corps de son père décédé de Paris à Cracovie nous laisse imaginer ce qui pourrait être une séquence de sa filmo.

L’interaction entre Horowitz et Polanski est un autre élément intéressant de ce film. Leurs souvenirs se contredisent parfois, rappelant si besoin la différence essentielle entre mémoire et Histoire, ces deux jambes qui se complètent pour retourner vers le passé. On remarque également que si Polanski se montre extrêmement disert, Horowitz est plus silencieux, discret, timide, comme s’il était légèrement dominé par son célèbre ami. Peut-être est-ce dû à leur différence d’âge (Polanski a 6 ans de plus) ? Peut-être cela explique-t-il pourquoi l’un est devenu photographe, métier que l’on imagine solitaire et silencieux, quand l’autre est devenu cinéaste, activité où l’on doit diriger une équipe, communiquer des instructions.

Horowitz a été déporté à Auschwitz à l’âge de 3 ans. Il en est miraculeusement revenu, sauvé par le désormais célèbre Schindler. Ses parents sont également revenus vivants de l’enfer nazi, la famille Horowitz étant réunie après la guerre. Polanski a été caché par des paysans à la campagne mais a perdu toute sa famille. Horowitz explique à un moment que s’il a été déporté contrairement à Polanski, il a toujours été entouré par l’amour de ses parents alors que le cinéaste en a été privé très tôt : selon lui, le sort de Polanski a été pire que le sien.

Finalement, Promenade à Cracovie ne nous apprend rien de vraiment neuf sur la Shoah mais beaucoup sur la force morale des exilés, sur l’infernal moteur originel qui peut conduire vers une carrière artistique féconde et sur la naissance d’une amitié dans les circonstances les pires qui soient.

Promenade à Cracovie de Mateusz Kudia et Anna Kokoszka-Romer. Pol, 2023, 1 h 15, ARP Sélection. En salles depuis le 5 juillet.

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