Retour d’Emma Dante au Théâtre de la Colline, avec Pupo di Zucchero, conte joyeux et mélancolique d’une nuit des morts à Naples. 

Une féérie venue d’Europe : Pupo di Zucchero a le mystère et la joie trouble des contes du sud. Dans ce spectacle, la dramaturge sicilienne Emma Dante ne change rien à son oeuvre,  et offre tout ce qu’elle est : une conteuse, une chorégraphe, une pourvoyeuse d’enfance et de mélancolie sur les scènes européennes. Et dans cette fidélité à elle-même, réside sans doute une part de son succès qui ne se dément pas : le soir de première, à la Colline, le public s’est levé pour saluer la dizaine d’acteurs. Pendant une heure, ils venaient de nous enchanter au gré d’une histoire simplissime : à la veille de la Toussaint, sur le point de célébrer les morts, un vieil homme, seul, se tient devant la pâte d’une « poupée de sucre », brioche traditionnelle de Naples qui se mange la nuit, au cours de ces heures festives qui rythment le 2 novembre, dans le sud de l’Italie. Au cours de cette nuit, les morts de la famille absente apparaissent et disparaissent, tournant et dansant autour du vieux narrateur perdu dans sa mémoire. Et c’est bien dans ce lieu entre la joie enfantine et la mélancolie des morts, où nous mène Emma Dante. En très peu de mots, où se mêlent le napolitain du personnage principal et le français d’autres personnages, elle convoque les spectres familiaux d’une famille pauvre du début du siècle dernier, sœurs mortes trop tôt de la maladie, tante battue par son mari, mère-courage tenant les rênes d’une tribu abandonnée par le père marin…On y retrouve les tableaux habituels de son théâtre : familles archaïques, femmes victimes de la misère, enfance joyeuse, paradis si vite perdu. Jamais de pathos sous la plume d’Emma Dante, ses fantômes sont des spectres dansants, aussi vivants que les vivants, parfois plus. En héritière des contes et de Shakespeare, du théâtre traditionnel et de Tadeusz Kantor, elle mêle vivants et morts, passé et présent sur scène, dans une atemporalité mythique, qui offre toute sa beauté à ce théâtre bien plus sophistiqué qu’il n’y paraît.  Car nous sommes ici plongés dans la mémoire d’un homme qui se prépare à mourir. La dernière scène, somptueuse, nous renvoie à cette condition de « poupée » à laquelle nous sommes tous condamnés. Spectacle sur la mort, oui, mais avant toute chose sur le souvenir qui cristallise les êtres en quelques gestes et scènes récurrentes, comme le sucre fige la poupée de la Toussaint. Et l’on entend dans ce bal des morts qu’Emma Dante orchestre, le souffle d’un Italo Calvino, d’une musique italienne qui serait délicatement fantastique, d’un théâtre qui accueillerait par son mystère, et l’expérience qu’il produit, les ombres de nos psychés. On pense à Freud, comme à la mystique d’une Italie recueillie dans le souvenir de la tradition. Pupo di Zucchero, ou la fantaisie d’un théâtre archaïque et absolument contemporain.

Pupo di Zucchero, Emma Dante, Théâtre de la Colline, jusqu’au 28 juin et La Scortecata, du 17 au 28 juin.