Un cercle Yoruba à l’heure parisienne : Out of This World de et avec Qudus Onikeku est à découvrir au centre Pompidou, dans le cadre de ManiFeste et Moviment. 

« Ce soir, il n’y a pas de spectateurs. Nous sommes ensemble dans le cercle », prévient Qudus Onikeku. Tout, en effet est disposé autour d’un espace circulaire : les podiums des musiciens, les coussins et banquettes et les 16 totems. Le cercle, moins pour être « hors de ce monde », comme le veut le titre de la performance, mais pour en créer un autre, tel un monde perdu où le temps serait cyclique et les idéaux d’antan prêts à renaître. Dans ce monde-là, on entre progressivement, par la parole et la magie des écrans ronds intégrés dans les statues tubulaires du sculpteur Olayinka Oladosu, couvertes de petites perles incarnant toute l’histoire des relations entre l’Europe et l’Afrique. On touche l’écran pour déclencher l’Oraqu, une application pout téléphone mobile construite selon l’Ifá,  le système, dont l’invention est attribuée à Orunmila, l’Orisha de la connaissance, de la sagesse et de la divination, autrement dit : de la philosophie. 

Oraqu, c’est l’oracle. Ainsi invité à prendre l’initiative, on dessine une ligne imaginaire sur ce qui ressemble à un clavier et sans plus attendre, un enregistrement est diffusé. Partout, des textes, tel un sas pour entrer dans la république Yoruba. Des livres au sol, des conférences, émissions radio ou autres conversations émanant des yeux carrés des totems, en vérité de petits haut-parleurs. Tout allie ingénieusement traditions ancestrales et technologie. Une heure durant, on a toute latitude de marcher en cercle pour écouter les uns et les autres qui se renvoient en cercle, constituant un savoir virtuel autour du corps et de l’Afrique : Michel Foucault autour du Corps utopique, Muhammad Ali sur l’injonction à s’excuser d’exister dès le matin (Wake up and apologize), Sony Labou Tansi qui aborde l’acte de respirer, Bell Hooks On Cultural Criticism, Bill T. Jones au sujet d’Une vie bien dansée et des dizaines d’autres, entre théories culturelles et symboliques du quotidien. L’ensemble constitue une sorte de panthéon circulaire, au risque de créer une bulle, alors que l’intention n’est qu’ouverture. Mais cette bulle a du potentiel. Et la beauté des totems, à leur tour entourés de magnifiques sculptures en bois, envoûte. 

Et puis, arrivent les musiciens pour se lancer dans un afro-beat de grande douceur psychédélique, en complicité d’un maître indien aux tablas. Ce soir donc, selon la volonté d’Onikeku, sur un nuage sonore, il n’y a pas de séparation entre artistes et spectateurs. « Si vous avez envie de chanter, danser, crier ou discuter entre vous, allez-y ! Ne passez pas à côté de ce moment de rencontre, sinon vous perdez votre temps et le mien ! » L’ambiance musicale et le discours respirent les utopies d’il y a cinquante ans, quand la jeunesse avait la foi en l’avenir. Mais allez donc raconter tout ça à un public parisien, en 2023 ! Il manque ici non seulement l’opium, mais aussi l’évidence de pouvoir (de vouloir ?) s’emparer du monde pour en faire un lieu de liberté et d’amour partagé. Aussi Onikeku, après avoir prouvé sa virtuosité de danseur d’exception, va au contact et incite quelques personnes (complices ?) à s’offrir un quart d’heure de corps utopique. 

Après quoi le chorégraphe de Lagos reprend le micro : « Ce serait sympa d’avoir une petite conversation… » Avec le public présent le soir de la première, on en resta au monologue, abordant des questions qui ne sont pas sans lien avec l’ambiance dans la salle, où le public (car c’en était un, n’en déplaise au maître des cérémonies) fait partie d’une humanité qui « ne réussit pas à nourrir un dialogue signifiant sur le changement climatique », sur la migration ou encore sur l’intelligence artificielle et chatGPT…  Aussi Out of This World est bien là pour négocier avec ce monde et a du mal à s’en extraire. Mais tout dépend de celles et ceux qui entourent Qudis Onikeku et ses musiciens dans la Galerie 3 du Centre Pompidou laquelle devient, le temps du volet Outre-monde du festival Moviment, un lieu des possibles. Et un de ces soirs, peut-être, y régnera le parfum de la Kalakuta Republic de feu Fela Kuti, vedette précurseure de l’utopisme nigérian. 

 Out of This World de Qudus Onikeku. Centre Pompidou, festival Moviment. Du jeudi 8 au dimanche 11 juin 2023, sur réservation