Laura Stevens appartient assurément à la fine-fleur des portraitistes actuels. Réputée pour son travail de commande auprès des plus grands titres de la presse internationale, elle nous est chère, ici à la rédaction de Transfuge, tant ses images instruisent et honorent l’esprit des artistes que nous défendons. Dans sa dernière série de photographies exposée à la galerie Miranda, elle sonde le désir et examine ce qui, à défaut de ne pouvoir être dit, en appelle pleinement à la mémoire ainsi qu’au ressenti. Portées par une puissante mélancolie, ses nus font part d’une célébration sensuelle de la chair qui s’énonce poétiquement comme une lutte contre l’oubli.

Réalisés pour la plupart dans d’élégants intérieurs à l’aspect suranné, les nus de Laura Stevens expriment une conception hautement scénique de l’espace et des éclairages, l’artiste semblant mêler l’apport cinématographique à l’intention photographique. L’usage du clair-obscur est alors convoqué pour sa dramaturgie, pour la manière dont il permet d’incarner la matière même des sensations : présageant d’une impeccable poésie du silence, il se fait le vecteur privilégié de grâce et d’instants suspendus. Ici, l’éternel déjoue l’intempestif.

Si la lumière semble irradier l’espace de son irréalité poétique, c’est que la photographe, non seulement exigeante pour le traitement de cette dernière, n’en n’est pas moins virtuose dans son emploi. Ses épreuves se font lumineuses ou crépusculaires, Stevens se jouant des ombres et des lumières à la manière dont un peintre use de la touche picturale pour rendre compte d’époustouflants effets de moire et de halo : photographier n’est pas déclencher, mais bien plutôt une manière de façonner l’image captive. Car au sein de ses compositions parfaitement exécutées, Stevens a en effet le pouvoir d’intimer, entre son sujet et son cadre, des rapports d’affinité les plus riches comme les plus étranges : pris dans un univers comme en complet huis clos, les sujets sont dotés d’une présence physique à la fois tangible et très lointaine. La photographe favorise les effets de perspectives simples : fenêtres ou miroir placent le cadre en abîme. Mais à ces formes soumises à l’ordre du cadrage, elle y adjoint une précision de la mise en espace, menant le regard en direction du mobilier environnant, où le motif du lit, que le soleil éclabousse par éclats, occupe une place de choix. Comme pour mieux accentuer ce caractère énigmatique, l’ensemble des modèles proposent des visages mi-offerts, mi-dévoilés, dont l’expression renvoie à une inaccessible intériorité. Enveloppés dans l’intimité close d’une chambre, ils se font insulaires, logés au plus profond des registres d’une glorieuse solitude.

Agencées à l’image d’authentique séquences mnésiques, ses photographies distillent alors une vision proche de la rêverie, comme échafaudée autour de la beauté fondamentale des peaux. Mais à la figuration d’images mentales nées du souvenir, Laura Stevens y appose toute une galerie de mémoires tactiles, ces moments d’absorption physique et de connexion au corps. L’enchantement de la remémoration fait alors place à la volonté de faire du souvenir une expérience : celle d’un irréductible désir pourtant voué à l’oubli. 

Laura Stevens – « Tu oublieras aussi ». Galerie Miranda. Jusqu’au 30 juin
www.galeriemiranda.com