Quand le cinéma renaît à l’opéra, c’est Breaking the waves. Le chef d’œuvre de Lars Von Trier se décline en musique grâce à la compositrice contemporaine Missy Mazzoli, à l’Opéra Comique.

En 1996, le grand public découvre véritablement Lars Von Trier. Voilà dix ans que ce cinéaste danois réalise des films estimés par la critique mais, avec Breaking the waves, il obtient le grand prix du Festival de Cannes, puis le César du meilleur film étranger. Cette parabole illustre le mélange de naturalisme et de mysticisme qui caractérise l’âme tortueuse (et torturée) du Scandinave. Dans une communauté religieuse du nord de l’Ecosse, un jeune couple est frappé par le malheur : l’époux est victime d’un accident du travail qui lui paralyse la moitié du corps. Il demande alors à sa femme de se donner à d’autres hommes et de lui en faire le récit. Pour Beth, l’héroïne, cette plongée dans l’abjection est aussi une montée vers la grâce. 

Jusqu’où peut-on aller par amour ? Est-il un point de non-retour à l’abnégation, au renoncement ? Autant de questions que se pose Lars von Trier depuis qu’il tient une caméra. Et Breaking the waves, porté par le jeu incandescent d’Emily Watson et Stellan Skarsgard, en est la superbe illustration. 

Vingt ans plus tard, le librettiste Royce Vavrek et la compositrice Missy Mazzoli décident de porter ce film à la scène et d’en faire un opéra. Après tout, une bonne partie des opéras du XIXe siècle étaient issus de pièces de théâtre -presque tout Verdi, par exemple- ; pourquoi donc une création contemporaine ne serait-elle pas la fille naturelle d’une œuvre cinématographique ? Et dans le cas de Breaking the waves, créé à Philadelphie en 2016, on peut dire que la greffe a pris. 

Il y a chez Lars von Trier un penchant vers le lyrisme, voire même le mélo, qui se moule parfaitement à une esthétique sonore américaine ; et la partition de Missy Mazzoli rejoint fort bien cet univers. On y retrouve les influences des grands maîtres de la musique tonale d’outre-Atlantique du XXe siècle (Barber, Copland…), certaines bandes originales de films, et même des rémanences de la comédie musicale.  Quant au livret de Royce Vavrek, il est d’une efficacité acérée (quoique l’œuvre eût gagné à être un brin plus courte…)

La réussite du spectacle tient aussi dans le remarquable dispositif scénique imaginé par l’équipe du metteur en scène Tom Morris. Par un système de « tournette » toujours en mouvement, il maintient la tension du spectateur, et joue avec virtuosité sur le montage, le « tuilage » de scènes, qui sont autant de séquences filmiques. 

Mais il faut surtout saluer la performance des comédiens-chanteurs, dont l’investissement est ici remarquable. On sait que Lars Von Trier fait des films sans tabous, parfois crus, n’hésitant pas à inclure des séquences pornographiques (comme dans Les Idiots ou Nymphomaniac). Breaking the waves étant une histoire de passion charnelle, l’opéra comporte des scènes d’amour d’une vérité d’autant plus saisissantes qu’elles sont chantées, et même vocalisées. On ne peut donc qu’être admiratif devant le travail du baryton Jarrett Ott et, surtout, de la soprano Sydney Mancasola. La chanteuse américaine retrouve la grâce enfantine d’Emily Watson, sa pureté bafouée, son innocence en berne. Et le public parisien a bien de la chance de pouvoir découvrir cette œuvre étrange, inattendue, mais d’une profonde originalité, sur la scène de l’Opéra-Comique ; attention, ce spectacle n’est parisien que pour trois représentations… 

Breaking the waves, d’après Lars Von Trier, de Missy Mazzoli et Royce Vavrek, Opéra Comique, du 28 au 31 mai.