Transfuge est partenaire du Concours de la jeune critique du Festival La Rochelle Cinéma 2023. À cette occasion, nous sommes heureux de publier la critique du 3e prix, Toussaint Mouzet, autour de Melancholia de Lars von Trier.

Pour Gérard de Nerval, figure majeure du romantisme français, “la mélancolie est une maladie qui consiste à voir les choses comme elles sont”. Si Melancholia marque autant, ce n’est pas seulement pour son incipit sublime sur la partition de Richard Wagner, mais surtout pour la manière de Lars von Trier de rendre tangible cet état d’âme.

Melancholia est un diptyque (au sens propre; la peinture étant un motif essentiel de l’œuvre de Lars von Trier), un film en deux parties qui se complètent, intitulées « Justine » et « Claire », du nom des protagonistes, racontant dans un premier temps la réception organisée en l’honneur du mariage de Justine, puis dans un second, Claire accueillant chez elle sa sœur dépressive, alors que la collision de la planète nommée Melancholia avec la Terre est imminente.

Pour soi-même, la mort peut sembler la fin du monde. À sa propre échelle, le résultat est le même. La représentation de la collision de cette planète avec la Terre est à la (dé)mesure de l’impact que peut avoir la pleine réalisation d’un individu de sa condition. Melancholia est moins un film catastrophe qu’un film sur la dépression comme l’expression de la prise de conscience d’un individu de sa propre finitude, qu’il n’y a rien après la mort (le film se clôt immédiatement après la collision) et donc que tout ce qu’on fait est en vain; que le monde n’a pas de sens, qu’il n’y a donc pas de morale ni de valeurs. Le cinéaste montre au long de la réception la trivialité des traditions, des rites. Justine ne s’efforce plus à sourire, rejette, comme sa mère désabusée, les règles sociales, en tout premier lieu l’injonction à être heureuse. Elle ferme les yeux après avoir regardé dans un télescope, s’ensuit des plans somptueux sur des constellations. On observe l’infiniment grand et on se sent infiniment petit. Le film montre par la suite l’atonie qui caractérise la dépression, cet état d’abattement, d’absence à soi-même, de perception déformée de l’écoulement du temps.

Pourtant, Lars von Trier semble sans cesse se débattre contre l’idée d’un monde sans dieu : certains événements ne trouvent aucune explication rationnelle, on retrouve une volonté récurrente de donner une matérialité, une réalité physique au divin, au mystique, dans son cinéma. La raison et la foi, le pessimisme et l’optimisme s’y affrontent en permanence. La dualité du film dans sa forme épouse ces antinomies. Le film repose sur le contraste, fait coexister différents régimes d’image (caméra heurtée et coupes franches ou plans longs et composés, réaliste ou à la lisière du fantastique), fait cohabiter le trivial et le sublime, mêle tristesse et humour (on pense étrangement à Woody Allen dans la première partie de « Melancholia » ainsi que dans d’autres films de Lars von Trier comme « The House That Jack Built », dans la manière dont l’humour agit comme un voile recouvrant des angoisses profondes), est à la fois spectaculaire et intime.

Bien que les acteurs soient remarquables dans tous les films de Lars von Trier, Charlotte Gainsbourg et Kirsten Dunst, aussi justes que bouleversantes, sont les ultimes instigatrices du cheminement qui, au travers de ces quelques lignes, m’a mené à saisir le bouleversement qu’a été pour moi Melancholia.