Damien Aubel, chroniqueur à Transfuge, signe son troisième roman, Je suis le feu. Plus mystique et plus Huysmans que jamais : pour les lecteurs radicaux.

Le roman commence par une prosopopée : le feu parle et il exprime son désir pour la pierre, le bois, le plomb, le verre d’un édifice incomparable. C’est une pénétration par les flammes ; décrite ainsi par l’auteur. Nous sommes le 15 avril 2019, jour de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Damien Aubel a choisi de consacrer son troisième roman à cet événement qui n’est pas seulement un fait divers tragique, ou une catastrophe architecturale parmi tant d’autres. Elle est un signe des temps, une preuve occulte d’un destin national et même continental malheureux. Elle est un chapitre décisif, mais pas définitif, d’une autodestruction débutant véritablement avec la prétendue Révolution française et son entreprise de déchristianisation massive, où l’on fracasse les frontons des églises, pille les autels, massacre le peuple des croyants et des bons vivants, de Vendée en septembre, sans distinction d’espace ni de temps. Depuis, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite, on se montre antichrétien et donc anti-français, anti-francs et ses royaumes à Paris et Jérusalem, pour X, Y, Z raisons, toutes minables, tantôt et selon camps, de l’extrême machin à l’extrême chose, par haine du capitalisme, de la monarchie, des juifs – le Christ est juif, on hait les juifs, on hait le Christ, barbottent ainsi les néo-païens -, et puis par haine de tout mystère associé à nos vies, de toute tentative de les sublimer par l’inconnu, l’indicible, qui cependant font prière, musique, art de toute sorte. Et quand on se veut chrétien à gauche et à droite, surtout récemment à droite devant l’Islam, par peur de l’Islam, suprême lâcheté, c’est un christianisme mollasson qu’on improvise, une ignoble baudruche à la Vatican II, le pape tiède du plus destructeur concile de l’histoire. Il n’y a rien à « moderniser » dans l’Église. L’Église est ou elle n’est pas, ça s’arrête là. Sa mission échappe au temps et ses modes, elle échappe donc aussi bien au présent qu’au passé. Les nostalgiques et les modernisateurs n’apportent rien à l’Église. Damien Aubel n’est pas de ce genre-là. Il n’est pas laïque ni séculier. Il est une sorte de saint privé de Dieu – au point que dans son premier roman, il imagina un de ses saints se persuadant d’être cet impossible Dieu, faute de mieux. Il est incapable d’adhérer à Lui parce que l’époque est ainsi faite et que nous sommes tous plus ou moins de cette humanité-là, et Jésus lui-même ne croirait sans doute plus à son Père ni à l’Esprit s’il venait à naître aujourd’hui. Damien Aubel est surtout romancier. Je suis le feu est d’une complexité quasi incompatible avec la lecture contemporaine parce que son sujet est une quête perdue d’avance. Outre la prosopopée initiale et finale, il y a un narrateur, François Sourd, enté de deux compagnons, Max et Diane. Max tient un journal, que nous décrit François. Diane écrit des lettres. On trouve également vingt-cinq incises comme autant d’essais sur Notre-Dame. Il s’agit d’exégèses de la cathédrale, placées sous l’égide de ce que l’on appelle communément depuis le XIXe siècle l’ésotérisme, et qui regroupe une foule de vieilles sciences plus ou moins sincèrement secrètes, et il n’est pas question d’en discuter ici. L’alchimie, l’hermétisme, l’héraldique agissent à différents niveaux du livre, et spécialement dans ces incises nommées logiquement des clefs, symbole d’ailleurs fort employé dans ces mêmes sciences. Damien Aubel appartient à une tradition où l’on trouve certes Fulcanelli, qu’il cite à plusieurs reprises, ainsi que Huysmans, mais également Jean Phaure et son Introduction à la géographie sacrée de Paris, et aussi tout simplement cet élégiaque populaire précis et mystique à la fois des vieux corps de métier perdus de la capitale, maîtres tailleurs, maçons, tisserands ou verriers, qui se trouvaient aux entours des chantiers religieux et palatiaux à l’époque où il y en avait partout, c’est-à-dire avant 1789. Et comme récemment, j’ai vu un feuilleton français daté de 1974 intitulé Les compagnons d’Eleusis, où apparaît l’excellent Marcel Dalio en libraire ésotériste et guide du jeune héros, j’imagine sans peine sur le même mode les personnages d’Aubel, chercheurs de sens dans les pierres, les bois, les plombs et les verres de la capitale. Quelque chose d’absolument inactuel caractérise ce roman et c’est certainement ce qui lui confère cette patine légèrement poignante qui tient du monde parallèle et du monde perdu.

Damien Aubel, Je suis le feu, Marest Editeur, 220 p.,19 €