Never Twenty One: Avec son trio à l’ambiance envoutante, Smaïl Kanouté rend hommage aux victimes des guerres urbaines. 

Aux États-Unis, on le sait, trop de jeunes sont fauchés par les armes à feu, à l’école, à l’université ou en dansant. Ils meurent sous les balles, mais aussi sous les projecteurs, faisant la Une de tous les journaux. Mais quid de ceux qui sont fusillés dans le Bronx ou à Marseille où les gangs se disputent le territoire, de ceux qui essuient les tirs de la police dans une favela brésilienne ou à Johannesburg …? De ceux-là, on ne lira pas de portraits. Pas d’empathie pour la « racaille », et pourtant leur probabilité de mourir avant d’avoir vingt et-un ans atteint des sommets vertigineux. C’est un artiste visuel et chorégraphique qui est allé enquêter à leur sujet, à New York, au Brésil, à la Goutte d’Or et en banlieue parisienne. Au sein et avec l’aide du collectif Racine, il réalisa alors un court métrage documentaire, nourri de rencontres et d’entretiens avec des travailleurs sociaux et membres des familles de jeunes victimes des fusillades à New York. D’où le titre, Never Twenty One, qui fait référence à celui d’une campagne de sensibilisation du mouvement Black Lives Matter autour du fait que tant de victimes des armes à feu meurent en pleine adolescence. En 2020, Kanouté part des impressions et réflexions autour de ce film, lauréat sur plusieurs festivals, pour créer un trio chorégraphique éponyme qui lui apporte, là aussi, une reconnaissance immédiate. 

Difficile en effet de rester de marbre face à l’ambiance à la fois urbaine, cérémoniale, shamanique et mystique qui se dégage de l’ambiance sombre, cachant une luminosité souterraine. Never Twenty One est une œuvre transdisciplinaire, ce qui se traduit ici par: transcendantale. Une pièce chorégraphiée à partir de danses hip-hop, krump et autre électro qui se fondent pour créer un langage libre, porteur d’invisible et propice à donner une présence aux jeunes défunts. Les trois interprètes, dont Kanouté lui-même, chargent leurs gestes d’autant de fureur que d’espérance. Kanouté étant diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, et il n’y a pas de hasard s’il fait ici appel à l’artiste de rue Lorella Disez qui couvre les torses de mots à la blancheur éclatante, inscriptions tournées dans tous les sens et porteuses de revendications, invocations et symboliques intimes. Avec leurs corps comme traversés par les inscriptions, le trio de fantômes errants se fait à la fois martyr et shaman, combattant et réconciliateur, guerrier des villes et guide spirituel. À sa façon, Never Twenty One est donc un quatuor, à moins qu’il faille parler d’un quintette car les éclairages d’Olivier Brichet contribuent autant à créer les ambiances à la densité exceptionnelle. Aussi ce trio est également une réponse à la fois contemporaine et intemporelle au Sacre du printemps, où se lient le besoin d’exister en communauté et celui de questionner un cycle de la violence, apparemment inéluctable, pour donner une présence aux victimes. 

Never Twenty One de Smaïl Kanouté. Chaillot Théâtre national de la danse. Du 10 au 13 mai