Pour mettre en scène l’ultime opéra de Verdi, Denis Podalydès installe son héros dans une chambre d’hôpital.

C’est le dernier opéra de Verdi. Arrigo Boito, auteur du livret, aurait un peu forcé la main du compositeur en lui proposant d’écrire un opéra à partir des Joyeuses commères de Windsor. Plutôt hésitant après avoir déjà signé Macbeth et Othello, et avoir abandonné le projet longtemps caressé de mettre en musique Le Roi Lear, Verdi accepte d’abord parce qu’il s’agit d’une comédie, mais surtout à cause de la figure haute en couleur de Falstaff. Denis Podalydès qui met aujourd’hui en scène cette œuvre d’un compositeur âgé de quatre-vingts ans a craqué, lui aussi, pour le personnage de Falstaff. Comme beaucoup c’est grâce au film, Falstaff d’Orson Welles qu’il a découvert dans toute sa splendeur ce héros Shakespearien. 

De là à imaginer un rapprochement entre le réalisateur et la figure imposante qu’il incarnait à l’écran, il n’y a qu’un pas, comme le raconte Denis Podalydès : « Ma première intuition en abordant cet opéra vient d’images d’archives de la fin des années 1970 où l’on voit Orson Welles terriblement boursouflé entrer

 dans une salle à Paris et s’installer péniblement avant de parler. Or à peine s’est-il lancé que ça devient léger, brillant, délicieux, très drôle. Alors qu’on l’avait vu quelques secondes plus tôt congestionné à l’excès, donnant le sentiment d’un homme profondément malade. Cette image d’un homme malade est le point de départ du spectacle. » Partant de cette vision du héros fatigué et vieillissant le metteur en scène installe Falstaff sur un lit d’hôpital. Un Falstaff mal-en-point donc, sinon agonisant. Désargenté, loin du gaillard qu’il fut dans sa jeunesse et pourtant au fond de lui-même toujours vert, prêt à faire des coups pendables et à tomber amoureux. C’est cette contradiction constitutive du personnage que veut montrer Denis Podalydès. « À la fois malade et super vivant, proche de la mort et d’une frivolité insensée, bref de la démesure en toutes choses, tel est Falstaff. D’où l’image d’un Falstaff couché, une sorte de baleine échouée dans une chambre d’hôpital et rendant la justice comme un roi dérisoire sur des questions de beuveries parfaitement anecdotiques. » 

Tout alité qu’il soit, Falstaff ne tient pas en place. La possibilité d’une aventure amoureuse l’éveille de sa torpeur. Il subit bientôt moult avanies où sa vie ne tient qu’à un fil. Car le livret ne l’épargne pas, qui multiplie les pièges où, égaré par le désir, il se laisse berner comme un bleu. Denis Podalydès souligne à ce propos la cruauté de l’opéra. « Il est victime de plusieurs lynchages. D’abord il est jeté dans la Tamise, enfoui dans une panière sous un tas de vêtements féminins. Puis comme si ça ne suffisait pas, Alice Ford, la commère qui vient de lui jouer ce mauvais tour, donne à Falstaff un rendez-vous galant à minuit dans la forêt de Windsor. Cette fois, il est roué de coups et lacéré. À ce moment-là, une question est posée dans l’opéra, e sogno o realta ? (est-ce un rêve ou la réalité), qui m’a amené à traiter ce deuxième lynchage sur un mode résolument onirique. » 

En dépit de l’épaisseur légendaire du personnage qui n’empêche pas pour autant son esprit pétillant, Falstaff est une œuvre dont la légèreté étonne compte tenu de l’âge du compositeur. Une légèreté mais aussi un entrain et une rapidité de mouvement qui demande beaucoup de doigté dans la mise en scène. Denis Podalydès : « C’est une perpétuelle métamorphose, ça change tout le temps. Il y a des airs qui commencent et qui curieusement semblent abandonnés pour passer à un autre air. Ça oblige à trouver des solutions pour installer des actions sans le laisser distancer par la musique, mais sans non plus tomber dans un excès de vitesse qui serait trop mécanique. Le rythme et les changements sont tels qu’on n’est jamais lassé contrairement à d’autres opéras où on a l’impression qu’une fois que tout a été joué la musique dure encore, ici c’est le contraire, la musique va son train sans jamais s’attarder. »

Falstaff, de Giuseppe Verdi, mise en scène Denis Podalydès, direction musicale Antonello Allemandi. Opéra de Lille, du 4 au 24 mai.