Retenez bien ce nom : Charaf, Wissam Charaf. Le jeune réalisateur libanais signe avec Dirty, difficult, dangerous, un film chrétien, fantastique, sentimental, cinéphilique. Rien que ça.

Beyrouth, aujourd’hui. Rues et avenues sont filmées à hauteur humaine, on ne lève jamais l’objectif et les yeux vers le ciel. Ça donne une impression remarquable d’anonymat méditerranéen, avec des façades et des arbres qu’on retrouve à Marseille, Nice ou Alger. Un monde balnéaire, on pressent la mer sans la voir, et ça ne tient pas au fait de savoir qu’on est à Beyrouth. La quiétude, la torpeur imbibent les plans d’une certaine moiteur, même quand les personnages ont des vêtements d’automne. Un grain iodé imprime nos yeux. C’est une ambiance plus qu’une histoire qui marque le spectateur au début de ce deuxième long-métrage de Wissam Charaf, jeune réalisateur libanais qui mérite d’être mieux connu. Ahmed est un jeune syrien sans papier dans la capitale du Liban. Il survit comme ferrailleur, récupérant toutes sortes d’objets déchus pour un éventuel recyclage. Son gourbi, qu’il partage avec d’autres, est une ruine étrangement féerique à cause d’une manière d’éclairer les plans s’y déroulant et la présence de végétation quasi luxuriante. Il avance dans la ville, prétexte à travellings et plans-séquences. Expérience classique d’un cinéma urbain, mais on ne se souvient pas d’avoir déjà vu Beyrouth de cette manière, et sur ce point, le film est moraliste dans le meilleur sens possible, celui strictement cinématographique visant à chercher l’image inédite. Ahmed aime Mehdia. Elle est éthiopienne, migrante elle aussi. Elle travaille pour une famille aisée beyrouthine. Elle s’occupe du ménage, des courses, de la nourriture et du patriarche qui traîne son alopécie et sa sénilité à travers les pièces de l’appartement. C’est une figure cinéphilique. C’est Nosferatu, qu’il regarde d’ailleurs l’après-midi, et qui inspire ses nuits lorsqu’il visite la chambre de Mehdia pour l’effrayer, voire un peu plus. C’est le point de départ d’un basculement vers le fantastique, dont on trouve d’autres repères. Mehdia constate sur le corps de son amant l’apparition d’une tache sombre et saignante, dont elle extrait des éclats métalliques. Blessé en Syrie, Ahmed en conserve la trace, et les morceaux remontent à la surface, phénomène documenté par la médecine. Sauf que la tache s’étend, et l’on comprend qu’il devient peu à peu un homme d’acier ou de fer, un être de métal. Le scénario s’affouille alors, les strates s’accumulent. Le couple est à la croisée des chemins, le sociétal – exploitation des migrants -, le sentimental – une histoire d’amour entre deux étrangers de cultures différentes -, et le cinématographique – référence à Murnau et basculement vers le fantastique. Il y a des scènes remarquables et drôles, par exemple celle où une équipe de télé occidentale vient interviewer Mehdia en y cherchant le misérabilisme, avec Ahmed traduisant faussement ses réponses. Elle est chrétienne, et il y a aussi une strate chrétienne dans le film, des beaux moments de prières. Une telle richesse scénaristique où de nouvelles pistes s’ouvrent à mesure que le film avance fait tanguer l’ensemble vers l’incertitude. Et de fait, la fin déçoit les promesses émises ici et là. Mais la mise en scène, sa maîtrise donne à Dirty, difficult, dangerous sa réelle valeur, et nous donne envie de suivre Wissam Charaf dans ses futurs projets.

Dirty, difficult, dangerous. Wissam Charaf. Sortie le 26 avril, JHR films

Découvrez la bande annonce du film en suivant ce lien.