La conférence relate d’une manière sobre et intelligente la trop fameuse conférence de Wannsee qui décida en janvier 1942 de la « Solution finale » pour les Juifs.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma, ou ses avatars, s’emparent de la tristement célèbre Conférence de Wannsee, soit la réunion durant laquelle Heydrich, Eichmann et d’autres responsables national-socialistes discutèrent des modalités techniques de l’extermination des Juifs d’Europe, réduite dans le langage nazi à une simple locution – die Endlösung der Judenfrage, la Solution finale à la question juive. Pourtant, malgré les similitudes qu’il partage avec ses prédécesseurs, c’est comme si le film de Matti Geschonneck venait combler un trou, un silence et sans doute, les propres défaillances du cinéma, au moment de faire la lumière sur la genèse d’un génocide programmé, au moment où l’on espère enfin, avec lui, saisir l’insaisissable, comprendre l’incompréhensible. Toute reconstitution implique une part de spéculation, celle de Matti Geschonneck, bien qu’excellemment documentée, ne fait pas exception. Le procès-verbal de la conférence rédigé par Eichmann est liminaire, impliquant que des vides scénaristiques sont à remplir, vides dans lesquels des fictions spécieuses sont prêtes à s’engouffrer.

Le réalisateur allemand – ce n’est évidemment pas neutre – en a absolument conscience et s’attache avec une discipline admirable à son éthique cinématographique. D’abord, il fait le choix d’une égalité temporelle : pour une réunion de deux heures, un long-métrage de deux heures. On évite ainsi les ellipses, mais également la tentation d’une trop grande dramaturgie. La mise en scène, qu’aucune musique ne vient accompagner, ou pire, souligner, se refuse à toute ostentation, donnant aux échanges et aux discours leur pleine et entière résonance. Le film vient donc se construire, en quelque sorte, contre le cinéma, dans un périlleux équilibre inhérent aux docufictions – la reconstitution, si elle ne peut pas prétendre être l’enregistrement, doit se débarrasser du spectaculaire pour prétendre, sinon à la vérité, à une forme de fidélité historique.

Que reste-t-il donc à voir et à entendre, pour le spectateur, dans ce huis clos dépouillé de la mise en récit ? Par le libre déploiement du langage, par l’observation de la procédure nazie, à la fois militaire et bureaucratique, La Conférenceexpose précisément les ressorts d’une psyché collective malade, où les délires biologiques, les justifications téléologiques et les contraintes administratives nourrissent un même besoin de déshumanisation et de destruction. Donner à entendre cette pensée, dans ses ramifications logiques les plus absurdes – les chambres à gaz sont présentées comme une méthode plus humaine que les exécutions par balles – revient à nous placer, en tant que spectateurs devenus témoins, dans un rapport direct et terrifiant, car incarné, avec le projet civilisationnel aux origines de la solution finale, en permettant de mesurer ce qui, fort heureusement, nous en sépare, mais également, ce qui nous en rapproche, comme un certain vocabulaire des « ressources humaines », constamment remis à l’ordre du jour par le productivisme : rapports, protocoles, ordres de mission, opérations, départements, délégations de pouvoir… Pour reprendre Debord, « on ne conteste jamais réellement une organisation de l’existence sans contester toutes les formes de langage qui appartiennent à cette organisation. » Pour les contester, il fallait encore les énoncer. 

La Conférence, un film de Matti Geschonneck, avec Johannes Allmayer, Maximilian Brückner, Matthias Bundschuh… Condor Distribution, sortie le 19 avril

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