C’est du joyeux théâtre musical à la française que présente l’Athénée : Ô mon bel inconnu ou les tribulations d’une famille de chapeliers dans leurs aventures amoureuses. Une comédie lyrique signée Sacha Guitry et Reynaldo Hahn. 

C’est l’histoire d’une routine qu’il faut rompre. Celle d’une famille bourgeoise de chapeliers, père, mère, fille, bonne, en manque d’aventures. Mais qui ne serait pas tenté, claquemuré dans cette boutique à chapeaux, de rêver d’amour, de paquebots, et de mystérieux inconnus? L’intrigue de notre comédie musicale part de leur ennui, pour nous mener dans les rocambolesques péripéties et quiproquos d’un mari qui, par petites annonces, se joue de sa femme, de sa fille, et de sa bonne. Avec la virtuosité du marivaudage, et l’aplomb des screwball comedies, O mon bel inconnu  nous tient près de trois heures durant, à la suite de ces quatre personnages comiques, parfois pathétiques. Le quotidien familial ne fait pas le bonheur chez Sacha Guitry, on le sait bien, mais ici, il engendre la joie des spectateurs qui découvrent On mon bel inconnu. Car ce sont jeux de masques, de mots, de lettres, d’ambiguïtés et de malentendus, du début jusqu’à la fin. A croire qu’il n’y a rien de plus drôle, que des personnages à la recherche du bonheur. C’était sans doute la conviction de Guitry, qui confiait lors de sa création : « C’est une tragédie bourgeoise. Cette tragédie aurait pu s’appeler Connais-toi toi-même, elle aurait pu finir très mal. Au moment de l’écrire en vers alexandrins et de l’offrir à la Comédie française, j’ai réfléchi pendant une dizaine de minutes…et j’en ai fait une comédie. » Guitry s’amuse, et il a bien raison, car j’ignore si l’histoire du chapelier Prosper Aubertin et de sa famille aurait fait une bonne tragédie, mais ces quatre personnages nous offrent un tableau impeccable de comédie bourgeoise de l’entre-deux-guerres: ainsi la jeune fille, candide au bord de la naïveté, incarnée par Sheva Tehoval, au timbre grâcieux, la mère, femme dans la force et la beauté de l’âge, à la voix profonde et maîtrisée, Clémence Tilquin, la bonne, merveilleuse Emeline Bayart, qui est aussi la metteure en scène du spectacle, et qui joue la connivence avec Arletty, dont elle reprend le rôle, et à qui elle emprunte la haute figure dégingandée, les gestes larges, le parisianisme, et la crudité. Son personnage de Félicie est paradoxalement le plus moderne : elle veut le sexe, elle veut l’amour, elle veut sortir, à tout prix, de la routine bourgeoise. Face à elle, ce brave et roué Prosper, à qui Marc Labonnette offre une souplesse, et même une nature à la Rossini, se révèle lui aussi  originale dans ce genre de comédie qui voit habituellement le mari en dindon de la farce. Notons aussi les seconds rôles, qui sont de pures figures comiques ; Jean François Novelli et Carl Ghazarossian, le premier assumant deux rôles et le deuxième, l’étrange personnage de l’Allumette, muet, jusqu’à la fin…

Grâce à la musique, on découvre un Guitry comme adouci par Reynaldo Hahn. Le compositeur, l’on connaît surtout pour sa relation avec Proust, signait là une de ces fantaisies lyriques dont il avait le secret. Rappelons qu’Hahn est l’auteur de Ciboulette,  succès des années vingt, et que certains ont vu en lui le successeur de Messager. 

Ô mon bel inconnu nous offre donc un voyage dans cette époque d’insouciance française, et de joie lyrique, où tout est bon à rire et à chanter. 

O mon bel inconnu, de Reynaldo Hahn et Sacha Guitry, direction musicale Samuel Jean, mise en scène Emeline Bayart, Théâtre de l’Athénée,  jusqu’au 16 avril.