La comédienne de cirque excelle dans Le Périmètre de Denver, performance labyrinthique et acrobatique en forme d’improbable enquête policière.  

Comment une œuvre d’art peut-elle se retrouver percutée par la réalité, bien indépendamment de la volonté de celle qui l’a conçue ? Difficile de répondre à cette question. En revanche une chose est sûre, c’est qu’avec Le Périmètre de Denver, Vimala Pons a sans le vouloir tapé dans le mille en ouvrant son spectacle par une séquence présentant une Angela Merkel très enveloppée sous plusieurs couches de manteaux, portant en équilibre sur sa tête une série impressionnante d’énormes cailloux entassés les uns sur les autres et suffisamment lisses pour risquer à tout moment de s’écrouler. Cette vision de la chancelière, tant vantée pour sa gestion avisée pendant seize ans, non seulement de l’Allemagne mais aussi des affaires européennes, se révèle une allégorie des plus mordantes, depuis que Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine. On comprend désormais à quoi correspond le poids des responsabilités qui pèse sur la tête de Muti. D’autant que Vimala Pons ne s’arrête pas là, mais entreprend un effeuillage copieux particulièrement cocasse, enlevant une à une ses nombreuses couches – seize kilos d’habits ! – jusqu’à apparaître, fluette et longiligne, dans le plus simple appareil. La reine est nue. Que cette interprétation soit hors sujet – et elle l’est dans une certaine mesure – n’est pas vraiment un problème. Tout d’abord parce qu’elle ajoute du piquant à un spectacle déjà extrêmement drôle. Mais aussi parce que le principe à l’œuvre dans Le Périmètre de Denver tend à encourager toutes sortes d’extrapolations, un peu comme si le spectateur était convié à mener sa propre enquête. Sauf qu’il est bien embêté dans la mesure où il ne sait pas exactement ce qui s’est passé. Un meurtre mystérieux a eu lieu à Brighton dans un hôtel de thalassothérapie. Vimala Pons, qui interprète les sept personnages présents au moment du crime, est censée fournir des indices en détaillant leurs alibis respectifs. À vrai dire, cette création en forme de jeu de société doit moins aux romans d’Agatha Christie qu’aux expérimentations de Raymond Roussel – avec une pincée de dadaïsme. Et surtout au génie de la transformation, doublé d’un phénoménal sens plastique de cette artiste, comédienne et circassienne, aussi à l’aise en tant que performeuse que pour concevoir des œuvres hors du commun toujours désopilantes. Cela est notamment illustré par le fait que les héros de cette ténébreuse affaire interagissent de façon tellement systématique avec les éléments du décor qu’on peut dire que les deux, protagoniste et scénographie, forment un tout. Précisons qu’en psychologie, le Périmètre de Denver correspond à une zone d’incertitude créée par un mensonge. C’est une boucle de temps mentale qui se répète en s’adaptant à de nouvelles situations. Alors, tour à tour, Vimala Pons va offrir une série de versions qui évidemment ne collent pas les unes avec les autres exposées par divers personnages, dont un hydrothérapeute canin ou un agent de sécurité. À chacune de ses apparitions, elle est méconnaissable, changeant régulièrement d’âge et d’aspect, tantôt en homme ou en femme, multipliant les accents, déformant sa voix, donnant des explications qui ne font qu’embrouiller une intrigue déjà opaque. Mais surtout en se livrant à des opérations qui ressemblent à des parodies de travaux d’Hercule ; comme ce moment où elle fait tenir une automobile au sommet de son crâne. Après Grande, co-signé avec son partenaire Tsirihaka Harrivel, Vimala Pons confirme dans ce nouveau spectacle son talent hors pair. 

Le Périmètre de Denver  de et par Vimala Pons. Du 12 au 23 avril au centre Pompidou, Paris, les 1er et 2 juin dans le cadre du festival Utopistes, Maison de la Danse, Lyon.