Dans Elenit, l’imaginaire débordant d’Euripides Laskaridis mêle divinités et vaudeville carnavalesque, créant un orgiaque théâtre d’images. 

Il n’y a pas de référence pour évoquer Elenit. Ou bien, il y en a mille. Couler dans une même boîte de Pandore tout le fracas de ce monde sans même y perdre son latin, voilà la grande prouesse de ce prodige grec. Un de plus. On a Dimitris Papaioannou qui réassemble les corps de façon confondante et Christos Papadopoulos qui travaille sur la résonance entre l’infime et l’immense. Chez Euripides Laskaridis le voyage dans la mythologie peut prendre les chemins les plus farfelus. Dans Elenit, il laisse libre cours à un imaginaire peuplé d’animaux fabuleux et grotesques, de statues ailées, de fêtards burlesques, de débris et de glamour. Bref, un panthéon de l’absurde, peuplé de personnages aux pouvoirs surnaturels et pourtant comme sortis de nos livres d’enfants ou autres bandes dessinées. Ses inspirations vont de la culture club à la tragédie grecque – son seul nom l’y engage quasiment – comme de l’opéra à la peinture baroque et celle du Moyen Age, créant des images déchaînées, dans l’exubérance d’une fête grand-guignolesque où des personnages carnavalesques dansent face à l’abîme – comme la majorité de l’humanité, pourrait on dire. « La vie et le monde restent une énigme, ce qui est à la fois effrayant et réconfortant », écrit Alexandros Mistriotis, le dramaturge d’Elenit.  Mais la balance penche ici clairement en faveur du réconfort, peut-être parce que dans sa pièce précédente, Titans, Laskaridis avait donné à ses demi-dieux et autres héros un côté plus monstrueux et inquiétant, voire violent.

Fort de ses études en architecture et film d’animation, ce représentant de l’actuelle Movida athénienne crée un théâtre d’images loufoque et iconoclaste où les monstres se font drôles et attendrissants. Souvent, dit Laskaridis, il s’inspire de la farce, du burlesque et du vaudeville quand nains, géants et autres travestis arborent des costumes baroques et scintillants. Et nomme aussi Walt Disney, « Jurassic Parc » et David Lynch. Si la scène rappelle en même temps le clubbing, c’est parce qu’on pense inévitablement aux pistes de danse où les costumes des fêtards sont si extravagants qu’ils brouillent les pistes entre fantasmagorie masculine et féminine. Et parce qu’on entend une musique envoutante, une sorte de techno psychédélique composée par Giorgos Poulios dont un impayable Motherfucker dance. Alors oui, Elenit crée des images d’une drôlerie sournoise, comme si Laskaridis avait voulu rendre hommage à la liberté d’imaginer. Mais il y introduit aussi une part de la réalité de son pays, qui semble innerver le titre. Car Elenit est dérivé du nom de d’un matériau des tôles ondulées dont les Grecs faisaient leurs toitures. Le problème : elles contenaient de l’amiante. D’où le chantier sue scène, l’effondrement et la poussière, surplombés par une énorme éolienne pour rappeler que nous nous trouvons bien dans une certaine réalité. Sauf que, selon le postulat de Laskaridis, « les choses que nous connaissons sont derrière nous ». Ce déluge d’images mirifiques était-il bien réel ?

Elenit d’Euripides Laskaridis. Centquatre Paris, festival Séquence Danse, avec le Théâtre de la Ville, du 12 au 15 avril.