L’Amérique va mal. Il y a des signes qui ne trompent pas ; Paris Hilton, la paléolithique it girl d’un monde sans réseau social, publie ses mémoires avec succès. Elle se livre partout, pour raconter les traumas qu’elle a traversés, et nous parler de Dieu. A quarante-deux ans, elle endosse déjà le costume de la vieille starlette, puritaine et new born. Précoce en tout, la blonde milliardaire. L’Amérique va mal : on voit en Oklahoma, les bibliothèques d’école interdire au nom de la bigoterie, les livres jugés trop sexuels et violents, et d’autre part, Netflix imposer que Matilda, l’héroïne de Roald Dahl, ne lise pas Richard Kipling, pour ne pas heurter ses détracteurs woke. L’Amérique va mal : les premiers livres écrits par Chat GPT sont disponibles et tout le monde s’en réjouit. L’objectif de ces livres va devenir assez simple ; créer le récit le plus conformiste et le plus commercial possible ( on voit déjà certains rêver, non ?). 

Oui, l’Amérique va mal, elle engendre des poisons- le goût de la censure, le conformisme, la moraline, qui s’instillent depuis quelques années dans la littérature, avec la redoutable efficacité que l’on connaît. 

Mais ne nous trompons pas sur l’Amérique. Car si elle produit le poison, elle produit aussi l’antidote. 

Donc, l’Amérique va bien : Bret Easton Ellis, que l’on croyait dégoûté du roman, signe son livre le plus ambitieux et iconoclaste, de toute sa carrière, et se fiche absolument des bigots et des autres. L’Amérique va bien : Sigrid Nunez, National Book Award 2018 pour L’Ami, publie aujourd’hui un roman terrible et profondément humain, qui porte en titre une citation de Simone Weil, Quel est donc ton tourment ? ( éditions Stock ) et a pour sujet la mort. Enfin, la manière qu’un individu a d’accompagner un autre individu jusqu’à la fin. Ici, la narratrice et une amie. Ce sont quelques semaines de la vie de ces deux femmes, l’une est condamnée, l’autre demeure auprès d’elle. Sigrid Nunez, dans une forme souple et vive, nous rappelle que le roman peut être ce lieu où l’on affronte les questions que l’on passe son existence à fuir.

L’Amérique va bien : elle s’appelle Sara Freeman, et signe son premier roman, Marée. ( éditions Bouquins). Certains entrent en littérature en racontant l’héroïsme de leur grand-mère, elle attaque dans le vif : une femme quitte mari et amis, du jour au lendemain, pour devenir sans-domicile fixe, dans une station balnéaire vidée de ses touristes. C’est féroce et écrit avec une forme de poésie tenue, qui permet à Sara Freeman de nous faire spectateurs ébahis et impuissants de la chute, et de la renaissance de cette jeune femme. Nous découvrons aussi peu à peu la raison du basculement. Un roman qui pourrait ressembler aux meilleurs moments de Peter Handke, on pense à La Gauchère face à cette femme sans volonté ni dessein, ou à Don de Lillo, pour la précision de sa chute, et le hasard de ses choix. 

Bien sûr, j’aurais pu vous parler de la faillite des banques, de l’affaire Trump ou des élections à venir. Mais je crois que la littérature raconte un pays, et que le pouls des romans, est aussi celui d’un peuple. Comment va l’Amérique ? Chacun se fera son idée, mais à nous de savoir, si l’on va mieux qu’elle.