Laurent Mauvignier signe avec Tout mon amour, sa première pièce de théâtre. Mise en scène par Arnaud Meunier, ce drame familial voit se confronter Philippe Torreton et Anne Brochet. 

Le grand-père est décédé. C’est l’heure des adieux, mais aussi l’occasion pour un couple et leur fils étudiant de pousser les portes de la maison de famille, de faire l’inventaire des lieux. En apparence, l’homme et la femme semblent heureux, malgré de petites chicanes, de petites piques distillées ça et là. Lui cache ses fêlures, elle a quelque chose de plus évaporée. Ni riches, ni pauvres, ils font partie de la classe moyenne. Entre eux, de belles ententes. Pourtant, très vite, l’ambiance s’assombrit. Derrière chaque porte, chaque objet, semblent surgir des fantômes. 

 Cela fait dix ans qu’ils n’ont pas mis les pieds dans cette vieille bâtisse. Un drame les en a éloignés. Leur fille de six ans y a disparu sans laisser de trace. Depuis, le couple cherche à se reconstruire, en vain. Incapable de faire le deuil, chacun s’est retranché dans ses habitudes. L’arrivée d’une ado de seize ans, prétendant être leur enfant, va tout chambouler, réveiller les vieilles blessures et faire exploser ce qui reste du cocon familial. Le père veut y croire, la mère se réfugie dans le déni, le frère semble hanter par des souvenirs depuis longtemps enfouis. 

 Dans un décor fait de murs en tulle signé Pierre Nouvel, Arnaud Meunier s’empare du texte à tiroirs de Laurent Mauvignier. Jouant des ambiguïtés, laissant des zones d’ombre propices à toutes les interprétations, le dramaturge surfe en permanence à la lisière du polar métaphysique, presque fantastique. Fantôme du grand-père, un homme odieux, réincarnation troublante de l’enfant tant aimée, fils effacé mis de côté et amour depuis longtemps éteint, c’est tout un monde noir qui apparaît en filigrane. En plongeant dans les arcanes sombres d’une famille abîmée, le metteur en scène, directeur depuis 2021 de la MC2 de Grenoble, souligne habilement tous les non-dits et entraîne le spectateur dans une spirale infernale, forcément funeste. 

 Dirigés au cordeau, les cinq comédiens donnent chair et corps au sordide, à la douleur, à l’impossible réparation. En tête, le duo Torreton-Brochet fait des étincelles. À couteaux-tirés, ils se font face, déchirants d’une vérité qu’ils se refusent à dire, à croire. En fantôme du patriarche, Jean-François Lapalus joue les empêcheurs de tourner en rond. Enfin, en gamins perdus, Romain Fauroux, impressionnant, et Ambre Febvre, poignante, ne déméritent pas et sacrifient à ce huis-clos asphyxiant, étouffant toute la fougue de leur jeunesse. Du beau théâtre intensément noir ! 

Tout mon amour de Laurent Mauvignier, Mise en scène d’Arnaud Meunier. du 29 mars au 7 avril 2023 aux Célestins – Théâtre de Lyon du 11 au 15 avril 2023 au Théâtre National de Strasbourg