Amos Gitaï présente House au Théâtre de la Colline. Par l’histoire d’une maison à Jérusalem, il brosse le portrait d’Israël. Une virtuosité bouleversante. 

Une maison qui raconte l’histoire d’un pays. Ou un peuple qui se raconte dans une maison. Ou deux peuples qui se parlent, à travers une maison. Ou le choc du silence d’une maison et des voix de ceux qui l’habitent.  House d’Amos Gitaï est tout cela à la fois. Et ce n’est pas la moindre virtuosité de la pièce de réussir à demeurer du début à la fin, un lieu de différents récits qui se superposent, sans jamais conclure.  Après trois documentaires sur cette maison de Jérusalem Ouest, réalisés à plusieurs années d’intervalles, on pouvait se demander ce que le réalisateur et homme de théâtre avait à ajouter. Or, il ajoute ce que peut le théâtre et que le documentaire ne peut pas : confronter les personnages, la musique et d’autres textes dans un même moment et sur une même scène. Faire chœur, au sens tragique du terme. Faire chœur dans un pays qui n’entend que des cris. Offrir une forme de cohérence, et même d’harmonie, dans le désordre apparemment insoluble de la « situation » comme on dit en Israël. Car ce qui est saisissant à la fin de House, après avoir suivi ces dizaines de témoignages de femmes et d’hommes palestiniens et israéliens, c’est la ressemblance de leurs récits. Et la proximité de leurs désirs, tous fondamentalement orientés vers la paix. Peut-être est-ce l’espoir que nous confie cette pièce, par ailleurs terrible par les souffrances qu’elle révèle, et le peu d’amélioration politique dont elle témoigne. Car pour saisir cette pièce il faut sans doute partir de la fin : quelqu’un parle, raconte une nouvelle histoire sur une maison. Et nous voilà repartis dans la boucle de House,mosaïque de récits individuels qui portent tous sur l’idée d’un foyer, perdu ou trouvé. La fin de la pièce nous annonce que tout est éternellement à recommencer, et qu’il n’y aura sans doute jamais de fin claire et établie. Le projet de Gitaï est une boucle : Israël est un pays en métamorphose, comme cette maison. Les bruits du chantier qui résonnent tout au long de la pièce en témoignent. Au XIXe siècle, ce quartier de Jérusalem Ouest était habité par des religieux allemands. Puis, ensuite, par quelques grandes familles palestiniennes, dont les Dejani. Le vieux Dejani intervient pendant la pièce, élégant et digne dans son costume suranné et son anglais empreint d’accent arabe. Incarné avec force par l’acteur israélien Menashe Noy, le vieux Palestinien montre sa chambre d’enfant, le porche, la pièce de son âne, tout ce qu’il a laissé derrière lui en quittant le pays après la guerre de 1948. Lui répond Claire, la nouvelle habitante, juive d’Istanbul arrivée là dans les années 70, rachetant avec son mari la moitié de la maison, et la surélevant de deux étages. Irène Jacob qui la joue avec une grande finesse, et sobriété dit : « je ne suis pas responsable de l’histoire. » Ils sont écoutés par les deux ouvriers palestiniens qui taillent des pierres à l’avant-scène, mais aussi par Michel, le voisin, fils de rescapé de la Shoah, qui a quitté la Belgique à vingt ans pour venir s’installer ici. Pourquoi vient-on en Israël ? Par conviction, par attachement, et surtout, affirme l’un des personnages, pour trouver un foyer qui a cruellement fait défaut au peuple juif au cours du XXe siècle. Amos Gitaï a élaboré une mise en scène extrêmement sophistiquée et précise qui permet aux divers personnages de se raconter, de se croiser, sans se parler. La maison au centre de leurs récits n’apparaît que brièvement, sur le vaste écran qui domine le plateau. Celui-là même sur lequel est projetée, au début de la pièce, l’image de Jeanne Moreau lisant une lettre bouleversante de la mère d’Amos Gitaï adressée à son fils. Elle y parle de la meilleure manière de vivre en Israël pour les générations à venir. La question est là, inlassablement renouvelée. 

House, Amos Gitaï, Théâtre National de la Colline, jusqu’au 13 avril.