À la tête depuis 2012 de la Cie Rasposo, fondée par ses parents, Marie Molliens ne cesse de réinterroger les codes circassiens. Actuellement à l’Espace cirque d’Antony,  elle présente le dernier volet de sa trilogie des ors, dernier rempart contre le chaos des temps présent. 

Devant le chapiteau, V’là le ramdam. Un gars maousse costaud et trois filles font un foin de tous les diables. Ça se trémousse, ça chante à tue-tête, ça harangue la foule façon G.O de club de vacances. Le tableau du cirque kitsch ne serait pas complet si l’un ne s’improvisait pas mentaliste et l’autre, assistante ultra-sexy un peu gourde. Accentuant à plaisir les clichés, Marie Molliens n’oublie pas que le spectacle vivant est avant tout l’art des apparences et des illusions. Forçant le trait, surimprimant les effets, elle entraîne sous la tente dans une folle et bigarrée farandole sa troupe et la cohorte de spectateurs déroutés. 

La fête est à son comble, le show délirant, l’ambiance surchauffée. Rien ne semble arrêter cette mécanique infernale. Mais comme dirait notre regretté Johnny « national », « il suffira d’une étincelle, d’un rien, d’un geste… pour allumer le feu. » la machine s’emballe, les flammes gagnent la piste, les plombs sautent. Le cirque n’est plu. Les ténèbres ont envahi le plateau. Dernier survivant de cette apocalypse, un clown blanc apparaît dans un halo de fumée. Les gestes lents, la mine contrite, triste, elle vient constater que la bête est morte. Troublée, glissant sur un fil tendu, l’acrobate semble voler dans les airs. Rejointe par ses compagnons d’infortune – Robin Auneau, Zaza Kuik “Missy Messy” et Françoise Pierret – Marie Molliens, circassienne virtuose, imagineun cérémonial en clair-obscur, une Oraison pour rendre hommage à cet art de l’adresse, de la magie, du féérique. Dans une pénombre que seules quelques bougies posées au sol éclairent, le rite se prépare. Les images sont fugaces, certaines burlesques, d’autres mélancoliques. La plume pleine d’imagination, Marie Molliens poétise la mort pour mieux l’exorciser. Lumières vacillantes, corps ridiculement tordus, mouvements félins, elle multiplie avec une aisance rare, les tableaux, les séquences au ralenti. Appelant au plateau les fantômes de ses ancêtres, éloignant par des flammèches aux mille couleurs les mauvais esprits, elle défie la faucheuse, joue sa propre mort et appelle de ses vœux, dans un acte ultime teintée d’humour noir, le renouveau du cirque. 

Créé pendant le confinement, Oraison est avant tout une ode à la vie, un chant d’amour aux racines d’un art vieux comme le monde. Gitane jusqu’au bout des ongles, Marie Molliens, qui vient de présenter à la Villette, Balestra, pièce créée pour les élèves de la promotion sortante du CNAC, porte en elle tous les stigmates d’un avenir radieux. 

 Oraison de Marie Molliens, Cie Rasposo. Jusqu’au 9 avril à l’Espace cirque de l’Azimut à Antony, en partenariat avec Les Gémeaux – Scène Nationale, l’Onde Théâtre Centre d’Art – Vélizy Villacoublay et le Théâtre de Rungis