Avec ce documentaire constitué d’archives rares et inédites, Céline Gailleurd et Olivier Bohler redonnent toute sa puissance au cinéma muet italien.
« Entre 1986 et 1930, plus de 10 000 films muets ont été tournés. Passés de mode, détruits ou perdus, d’autres rejoignent les archives de l’Ecole Nationale de Cinéma de Rome. Mussolini créé Cinecitta en 1937 et déclare à cette occasion que le cinéma est « l’arme la plus forte ». Àl’automne 1943, en pleine débâcle, les troupes allemandes viennent s’emparer de la quasi-totalité des collections de l’Ecole Nationale de Cinéma. Les bobines nitrate sont chargées dans un wagon, pour la plupart des exemplaires uniques. Le train ira s’égarer quelque part près de Babelsberg. Déchargées dans un entrepôt, les bobines attendent, puis prennent feu. ». Ce sont sur ces mots funestes, prononcés par Fanny Ardant que s’achève Italia, Le Feu, La Cendre, extraordinaire documentaire dû à Céline Gailleurd et Olivier Bohler, par ailleurs auteurs de films captivants sur Jean-Luc Godard, André. S. Labarthe, Edgar Morin et Jean-Pierre Melville. En prêtant attention à ce texte, on devine combien les bobines du passé sont pour leurs auteurs des objets jadis vivants qu’ils ont la charge de ressusciter en remettant la lumière dessus. Cette fois-ci, ils ont réussi à exhumer de nombreuses cinémathèques des morceaux de films que nous, spectateurs français, n’imaginions même pas tant le cinéma italien muet est un des grands inconnus de la cinéphilie hexagonale. Ce sont donc moins des images oubliées, invisibles que des images impensables qu’ils nous donnent à contempler dans un ordre chronologique, des premiers métrages de 1896 aux derniers qui furent sonorisés en 1929, au fil des soubresauts de l’Histoire. Impensables visions dantesques, tels ces plans abrasifs de villes babyloniennes détruites par Giovanni Pastrone. Impensables trucages qui détonnent par leur ingéniosité digne de Méliès, tels ces gros plans sur un géant engloutissant un corps nu. Extase érotique procurée par les silhouettes girondes et les visages doloristes de Francesca Bertini, Pina Menichelli et surtout Lyda Borelli, ces divinités oubliées dont Antonio Gramsci dit qu’elles avaient réinventé l’amour. Ces plans dont on demeurt stupéfaits qu’ils aient pu être oubliés, se maillent entre eux en un ingénieux montage tour à tour – et selon les circonstances historiques – logique, futuriste, cubiste et au fil de commentaires empruntés à Pirandello (qui détestait le cinéma), Fellini, Silvio d’Amico, Dali, Canudo, Delluc et Alessandro Blasetti, lequel reconnait avoir voulu brûler ces images pour en faire naître de nouvelles au moment de l’avènement du fascisme. Le film documente ainsi l’énergie industrieuse d’une Nation enfin unifiée (la première fiction italienne traitait du Risorgimento), partie à la conquête du monde et qui aura brûlé trop fort au point de s’abîmer dans la folie fasciste. Comme tout grand film sur un monde englouti, Italia, Le Feu, La Cendre procure l’envie de s’y aventurer, de devenir des spéléo- archéologues et autres chasseurs d’images fantômes et participer avec ces auteurs au réveil des bobines que nazis et fascistes avaient voulu réduire en cendre.
Italia, Le Feu, La Cendre, Céline Gailleurd et Olivier Bohler, Carlotta films, sortie le 15 mars
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