Amos Gitaï monte House, l’adaptation théâtrale de sa trilogie documentaire consacrée à l’histoire d’une maison à Jérusalem, depuis 1948. Immersion dans les répétitions et rencontre avec un metteur en scène qui fait entendre au plus profond l’origine du conflit israélo-palestinien. 

Extraits

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans notre daté mars

(…)

Les répétitions de House commencent cette semaine à Paris, comment décririez-vous le travail en cours ? 

Il y a beaucoup d’éléments toxiques en ce moment au Moyen-Orient, voilà pourquoi je suis heureux de réunir des comédiens israéliens, palestiniens…Des peuples qui dans la réalité s’affrontent, et qui aujourd’hui se retrouvent dans une démarche artistique ; nous disons quelque chose avec ça. J’étais donc très content que Wajdi (Mouawad) fasse appel à moi, il m’accueille de manière très sympathique, avec toute son équipe. Je suis heureux que nous ébauchions ainsi un dialogue tous deux, puisque lui vient d’un pays voisin, il sait de quoi nous parlons. Jouer à la Colline a toute une signification pour nous. 

Quel regard portez-vous sur votre trilogie documentaire entamée en 1979 ? 

 House est considéré comme mon premier film, même si j’avais déjà réalisé des films en super 8 avant. Lorsque je le revois, je suis fier, et triste à la fois. Fier parce que je trouve que malgré le temps passé, il réussit à transmettre des choses fortes de manière tendre. En même temps, je dois reconnaître que la situation est devenue bien pire. 

Pourquoi le porter aujourd’hui au théâtre ? 

C’est toujours ce qui m’intéresse, aborder une question qui existe, ici l’histoire d’une maison, et la transposer dans des médiums différents : le cinéma, le théâtre, et bientôt je vais créer une installation à la prochaine Biennale d’Architecture de Venise. 

(…)

La société israélienne depuis l’avènement de la nouvelle coalition Netanyahou semble en proie à une grave division…Est-ce aussi un moment politique essentiel pour monter cette pièce ? 

Ce nouveau pouvoir politique en Israël, avec toute la brutalité de sa démarche, dans tous les domaines, est très inquiétant. Voilà pourquoi notre groupe israélien et palestinien en arrivant ici, éprouve une forme de soulagement. Ils regrettent de ne pas pouvoir participer à toutes les manifestations contre le gouvernement Netanyahou, mais sont heureux aussi de respirer un autre air…  Il y a une angoisse profonde dans le pays. Bien sûr, certains sont ravis de cette victoire ultranationaliste et ultraorthodoxe de cette coalition corrompue, mais beaucoup sont inquiets.

(…)

Quel rapport avez-vous au théâtre ? 

Je repense souvent à ce que disait une actrice que j’aimais beaucoup et avec qui j’ai eu le grand honneur de travailler, Jeanne Moreau. Elle m’a dit, si j’accepte de faire un film ou une pièce de théâtre, c’est parce que j’ai envie d’apprendre quelque chose que je ne connais pas encore. C’est tout le contraire de tant de gens qui aiment sans cesse reproduire la même chose. S’il n’y avait pas dans le spectacle une question qui était posée dans l’espace, un peu comme une équation à résoudre, Jeanne Moreau n’acceptait pas le rôle. Nous avons fait ensemble ce spectacle à Avignon autour des textes de Flavius Josèphe, La Guerre des fils de lumière contre les fils de ténèbres. Et un jour, en arrivant chez elle, je découvre son appartement plein de livres sur l’Empire romain, l’antisémitisme… Je suis comme elle, j’ai besoin de me confronter à l’inconnu. Ma chance, c’est que comme je suis strictement un architecte, je n’ai jamais passé une heure dans un cours de cinéma et de théâtre, je n’ai donc pas reçu d’éducation formelle dans ce domaine et j’apprends sans cesse. Mais j’ai pu suivre le travail de Peter Brook, pour qui j’avais une grande admiration, notamment pour cet « understatement », ( ce sens de la litote, de la retenue) que j’ai toujours aimé au théâtre. J’ai aussi eu le grand plaisir d’assister aux répétitions de Pina Bausch à Wuppertal, et c’était une opportunité magnifique de voir ces grands artistes travailler. De la même manière, mon père m’a formé en m’emmenant sur les chantiers, et j’ai appris beaucoup en l’observant parler aux ouvriers. 

(…)

Dans les films comme dans la pièce, beaucoup de voix s’expriment, sans qu’aucune ne semble dominer réellement…

Il est très important d’écouter, et de savoir être délicat. C’est pour cela que je compare le travail documentaire à l’archéologie, il faut avancer vers les choses peu à peu, un bulldozer n’aide jamais en archéologie, il faut au contraire prendre les pièces une à une, comme les fragments d’un objet de porcelaine, et tenter de le reconstituer. Bien sûr, des contradictions s’expriment, mais c’est une bonne chose, nous sommes tous fondamentalement contradictoires. Donc peu à peu, on parvient à construire la maison, c’est-à-dire le conflit. Parce que la maison est le conflit.

(…)

Y a-t-il un personnage dont vous vous sentez plus proche ? 

 J’aime tous les personnages, parce qu’ils ont chacun une intégrité. J’aime le fils du tailleur de pierre, même lorsqu’il me demande, « pourquoi faites-vous un film ? Ça ne va pas changer ma vie. »

Avez-vous une réponse à lui apporter ? 

 Oui, il a raison, le film ne va pas changer sa vie. Mais je donne toujours l’exemple de Guernica, le tableau n’a pas empêché le massacre, mais aujourd’hui il est plus célèbre que Franco lui-même. La mémoire collective a dépassé la notoriété du dictateur. Je crois à la mémoire. L’histoire n’est pas faite que d’argent, de politique et d’armes. Elle se constitue aussi d’idées. Voilà pourquoi il faut exprimer les idées et en laisser une trace.

House, de et mise en scène par Amos Gitaï. Théâtre de la Colline, du 14 mars au 13 avril.