Trio d’enfer, Marlène Saldana, Jonathan Drillet et Rebeka Warrior revisitent avec brio un des plus gros bides hollywoodiens, Showgirls de Paul Verhoeven. Une ode au métier d’actrice.

Longues jambes gainées de bas pailletés, chevelure blonde en cascade bouclée, juste-au-corps moulant un corps parfaitement sculpté, langue léchant une barre de pole dance, Elisabeth Berkley est à jamais enfermée dans le rôle de Nomi Malone, cette jeune fille naïve rêvant de conquérir Las Vegas, d’être la nouvelle Showgirl à la mode. Carrière brisée net, descente aux enfers, le bide retentissant du sulfureux long-métrage de Paul Verhoeven lui a été fatal. Avec tendresse et humour burlesques, l’inénarrable Marlène Saldana dévore à pleines dents les restes de la starlette pour se vêtir de sa dépouille et lui offrir une renaissance, une gloire a posteriori. Attention, les yeux, le show est sans limite, la performance totalement débridée ! Vêtue d’une robe fourreau noir et rose, qui rappelle l’affiche du film, maquillée à outrance, la comédienne apparaît sublimement chic sous les feux des projecteurs. On est au Stardust, un hôtel-casino branché de Las Vegas. C’est l’effervescence. Il manque une danseuse pour le show topless du soir. Tony Moss, le manager du lieu, cherche la perle rare, celle qui fera fantasmer ces messieurs. Le ton gouailleur, l’esprit au niveau de la ceinture, il n’a pas son pareil – lourdingue – pour attirer la poulette, la façonner à l’image du lieu, un peu ring et pas mal cul. Loin de se laisser démonter, la performeuse irradie la scène, avale l’espace autour d’elle pour mieux le tailler à sa démesure, le transformer en cabaret underground, en salle de peep-show. Mots susurrés, mouvements clairement licencieux, elle se glisse dans la peau de Marty, Crystal, Nomi… rejoue les scènes devenues depuis cultes, transcende le nanard érotico-graveleux sorti sur les écrans en 1995 en une œuvre protéiforme délirante. 

Avec son complice de longue date, Jonathan Drillet, Marlène Saldana ne se contente pas d’adapter au plateau de manière linéaire le scénario de Verhoeven, mais imagine un récit kaléidoscopique totalement baroque où s’épanouit l’histoire de Nomi Malone, personnage principal de Showgirls, prête à tout, même vendre son âme au diable, pour réussir. Faisant feu de tout bois, s’affranchissant des codes, lâchant la bride à toutes les bien-pensances, les deux artistes, accompagnés à la sono par Rebeka Warrior, dressent un portrait des plus lucides du métier d’actrice. Tout à tour, aveuglées par le strass, portées au pinacle, déchues en un rien de temps de leur piédestal, elles sont étonnantes, sublimes, troublantes. En leur rendant hommage à travers cette fresque qui a jeté toute pudeur aux orties, Saldana and Co signent une œuvre inclassable, follement jubilatoire, un moment aussi décadent qu’extravagant.

Showgirl de Jonathan Drillet et Marlène Saldana. Chaillot-Théâtre national de la Danse, du 8 au 11 mars.