Les artistes Dominique Gonzalez-Foerster et Ange Leccia offrent à Christophe l’écrin ciné qui sied au défunt dandy.
Il y a à la fois une évidence et une morale à ce que Dominique Gonzalez-Foerster et Ange Leccia soient les auteurs d’un docu sur Christophe. Les deux artistes travaillaient sur le décor scénique de sa tournée 2002, ils ont noué une relation privilégiée avec le dandy un peu maudit, un peu vieilli, l’ont beaucoup filmé sur scène et en dehors, mais comme ça, à la coule, dans un espace d’amitié et d’intimité, pas du tout dans le but d’en faire un jour un film. Sauf que quelques années après la mort de Christophe, l’idée du film s’est imposée naturellement. La première demi-heure est d’ailleurs consacrée à ces moments privilégiés, quand le chanteur préparait ses concerts, pointilleux sur le moindre détail, où quand le célèbre nyctalope invitait les deux artistes à l’improviste, chez lui, à 2h du mat’. Première partie intime donc, bribes d’instants et de conversations, sorte de work-in progress tant pour les concerts que pour le film. C’est bien, ça cerne un peu la personnalité complexe de l’auteur des Mots bleus, entre dandysme et beauferie, professionnalisme méticuleux (voire autoritaire) et évanescence d’une créature de la nuit. C’est bien mais on se dit quand même à un moment, « bon, les chansons, les concerts, c’est pour quand ? ». Pas d’impatience, ça vient et ça occupe l’heure restante du film. Nul besoin d’évoquer ici la « beauté bizarre » de l’art christophique, ses mélodies parfaites, ses arrangements modernes, le romantisme de ses textes qui savent l’importance d’un détail (une veste de soie rose, le revers d’un smoking blanc cassé, une vespa, un gilet de satin, un cuir noir qui protège du désespoir…), sa voix perchée, parfois à bout de souffle… Pour cet art délicat, fragile, les deux artistes-cinéastes ont confectionné un écrin sur mesure, qui évite tous les clichés du rockumentaire. Pas de voix off, pas de montage « sa vie son œuvre », pas de plans cadrés face à la scène. Plutôt des angles de biais, de profil, saisis depuis les coulisses ou les côtés de la scène, une superbe palette de coloriste assortie aux mots du dernier des Bevilacqua (des irisations roses, bleutées, des lumières blanches pour lunettes noires…), un travail sur les vitesses de filmage avec des ralentis, du stop-motion, de quoi mettre splendidement en valeur les chansons, leur séduction de rêverie, mais aussi le chanteur, son profil aquilin, sa chevelure argentée plaquée en arrière. Ici, Christophe a souvent des airs de Nosferatu du top 50, une image de dandy certes un peu maudit, un peu vieilli, mais surtout très fantomatique, spectrale, prêt à se dissoudre dans la nuit, ce qui sied parfaitement à un être parti de l’autre côté il y a bientôt trois ans. « Petit fils du soleil, déjà le jour se lève, comment te dire que tout est fini ? ». Gonzalez-Foerster et Leccia lui disent et nous le disent avec ce film impeccable et très émouvant.
Christophe… définitivement de Dominique Gonzalez-Foerster et Ange Leccia. New Story. Sortie le 8 mars
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