Retenez son nom ; Valentina Carrasco, jeune Argentine au talent déjà affirmée, présente une somptueuse mise en scène de La Favorite de Donizettià l’Opéra de Bordeaux, avec Pene Pati dans le rôle de Ferdinand. Avant d’aborder Nixon in China à l’Opéra de Paris. Rencontre. 

Pour appréhender une œuvre aussi bel canto que La Favorite, vous avez fait le choix d’une mise en scène qui par quelques signes, des barreaux dorés, des lits fermés, une vierge espagnole, nous fait pénétrer dans un romantisme oppressant…

J’ai l’habitude de ce type d’opéra, j’en ai fait quelques-uns, notamment à Rome, Les Vêpres siciliennes de Verdi, un œuvre proche de celui-ci, opéra déjà en version française. Ça a été mon baptême de feu, un ballet de 32 minutes…Je suppose donc que j’ai été repérée par l’opéra de Bergame, où je l’ai créée, à ce moment-là. Je ne connaissais que la version italienne de La Favorite, sur laquelle, en tant que spectatrice, j’avais quelques doutes. Mais ensuite, j’ai découvert cette version française, que je préfère, et quand j’ai commencé à l’étudier, j’ai découvert beaucoup de choses : d’une part la mécanique folle sur laquelle il est construit, mais aussi la complexité de ce personnage de « la Favorite ». Elle est inspirée d’un personnage historique, Léonore de Guzman, maîtresse d’Alphonse XI dans l’Espagne médiévale. C’est une femme qui dans l’histoire de l’Espagne a joué un rôle fondamental, mais là, dans l’opéra, Donizetti a choisi de lui offrir un destin opposé. Je ne comprenais pourquoi Donizetti traitait d’un personnage réel, sans lui donner son véritable nom, la désignant comme « la favorite », et minimisant ainsi son rôle historique.  Et puis je me suis demandé si ce n’était pour raconter justement le destin d’une « favorite », l’état de dépendance induit par cet étrange statut. « La favorite », c’est une femme qui est à la merci des autres. Quand j’ai compris ça, j’ai pu élaborer une mise en scène. 

Au centre de l’opéra, vous avez placé ce ballet de vieilles femmes qui interviennent à plusieurs reprises. C’est émouvant et fort, ces images de corps si rarement montrés…

J’ai pensé aux favorites, et à ce qui leur arrive lorsqu’elles perdent la faveur du pouvoir.  Ces femmes qui vieillissent ne sont plus personnes. Elles sont doublement invisibles : comme des personnes âgées, et comme celles qui sont rejetées par le roi. C’est pour cela que j’ai tenu à faire ces ballets, pour raconter ça aussi. On doit représenter vite les choses dans les ballets. Ils agissent comme des rêves, ou des cauchemars. 

Il y a beaucoup de scènes d’église aussi…

Les moments religieux sont inévitables. L’Eglise joue un rôle important face au Roi, et à son comportement despotique, notamment lorsqu’il renie sa femme. J’ai voulu dans l’espace de l’église garder la présence d’une vierge à l’espagnol, la vierge d’ouverture est une copie de la Macarena, parce que l’idée de la vierge, de cette dame qui met au monde un enfant dont elle sait qu’il va souffrir jusqu’au bout, le côté mater dolorosa entrait en résonance avec le destin de la Favorite. 

Dans quelques semaines, vous aborderez Nixon in China, œuvre emblématique des années 80, loin de Donizetti et du début du XIXe siècle. Comment passez-vous d’un univers à l’autre ? C’est sûr qu’il n’y a aucun pathos romantique dans Nixon ! Mais j’ai besoin de passer d’un univers à un autre. Je parviens à me concentrer essentiellement sur ce que je fais, puis passer à autre chose. Chacune éveille une partie du cerveau qui laisse l’autre endormie. C’est un phénomène presque physique, qui m’est nécessaire. 

La Favorite, Opéra national de Bordeaux, du 4 au 14 mars

Nixon in China, Opéra national de Paris, du 22 mars au 16 avril