Premier long métrage d’Elena Lopez Riera, El Agua est un film d’une liberté et d’une singularité enthousiasmantes.

À quoi reconnaît-on une cinéaste née ? El Agua donne quelques éléments de réponse à cette vaste question. Après quelques courts-métrages documentaires, Elena Lopez Riera s’est attaquée à sa première fiction, avec la collaboration de notre ami et critique, Philippe Azoury. Première décision avisée, Riera a composé avec le matériau dont elle disposait en tant que provinciale éloignée des centres du cinéma : son bourg natal, Orihuela (région de Murcie), de jeunes acteurs amateurs du coin (entourés par deux ou trois actrices professionnelles dont la magnifique Barbara Lennie), des éléments de la vie d’une région écartelée entre sécheresse et crues ponctuelles dévastatrices (culture des agrumes, courses de pigeons, été écrasant, Espagne péri-urbaine…), et une légende locale transmise de génération en génération, à la fois mystico-folklorique et allusivement fémino-sexuelle, selon laquelle, à chaque inondation, le fleuve emporte les femmes parce qu’elles ont de l’eau en elles. Ensuite, telle une autodidacte qui n’obéit à aucun code, aucune règle académique, Riera a mélangé en toute liberté sa fiction d’une histoire d’amour entre deux jeunes durant un été écrasé d’ennui et de chaleur avec des éléments documentaires (outre le casting amateur et le contexte ouvrier-paysan, des femmes du village racontent face caméra leur version de la légende locale de l’eau, des images d’inondation sont extraites de JT), de même qu’elle mixe les tonalités en passant du réalisme le plus nu à des touches de pur fantastique. Ainsi, El Agua évoque des échos de cinéma aussi divers que Pasolini, le néo-réalisme, La Dernière séance, ou certains grands films chinois sur la jeunesse encalaminée (Goodbye south goodbye, Unknown pleasures…), mais aussi, par brefs éclats, Jacques Tourneur ou David Lynch. L’actrice principale, Luna Pamies, brune, mystérieuse, farouche, insaisissable, est comme une descendante crédible de la féline. On touche là à un troisième critère qui fait d’Elena Lopez Riera une cinéaste qui compte d’emblée : la puissance sensuelle de son regard, son attention XXL aux corps et aux gestes (beauté de séquences où les femmes préparent des artichauds, où les hommes malaxent le plâtre pour édifier un muret de parpaings contre l’orage qui s’annonce…), mais aussi son aptitude à faire surgir des plans mystérieux, tel celui de cette femme vue de dos qui marche vite dans une forêt en pleine nuit. Enfin, il y a toujours une part d’inexplicable dans ce qui sépare un(e) cinéaste d’un réalisateur (la différence, c’est l’inconscient avait dit Jean-Claude Biette) : tout ce que filme Riera semble simple, évident, déjà vu et rebattu (des jeunes qui glandent et s’ennuient dans un bled pendant l’été), et pourtant, tout vibre, tout palpite, tout est incarné, tout est vraiment regardé comme si c’était la première fois, infusé par un féminisme aussi subtil qu’émouvant – un féminisme qui se place du côté des femmes sans détester les hommes ni ringardiser l’hétérosexualité, on prend. Après Jonas Trueba, après Carla Simon et son Ours d’or, Elena Lopez Riera prouve que le jeune cinéma espagnol est le filon cinéphile le plus fécond du moment.

El Agua, Elena Lopez Riera, Les Films du Losange, sortie le 1er mars

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