« Qu’attendre des César ? » se demandaient Les Inrocks avant la cérémonie 2023. Et on avait envie de leur répondre « RIEN ! ». La soirée a amplement confirmé notre intuition très prévisible : les César n’ont pas stoppé la guerre en Ukraine, ni le réchauffement climatique, ni la répression en Iran (émouvant discours de Golshifteh Farahani, mais c’est à Macron qu’elle devrait s’adresser, pas au cinéma français dont la marge de manœuvre géopolitique semble assez faible aux dernières nouvelles), ni réduit les viols ou féminicides (malgré un très original et inattendu mitraillage de propos féministes tout au long de la soirée – je sais que c’est mal de violer ou de tuer des femmes ou de les traiter inégalement, mais je ne ressens pas le besoin qu’on me le martèle toutes les trois minutes), ni mis fin au racisme (notons que si la parité ethnique était à peu près respectée chez les remettant(e)s, ce n’était pas le cas chez les nommé(e)s et primé(e)s). Pour s’en tenir au seul domaine qui devrait compter en cette soirée-là, les César 2023 ne vont pas non plus changer la face du cinéma français, ses difficultés financières, ses problèmes de scénario, son box-office mou du genou, sa fragilité face aux géants des plateformes, ni sa vassalité congénitale face au cinéma américain auquel il rend hommage chaque année (ce coup-là, c’était David Fincher qui s’y collait), lui réservant une standing ovation – jamais de César d’honneur ni de salle debout pour un cinéaste roumain, une actrice espagnole, une réalisatrice japonaise, un acteur iranien, non, les César ne tentent de se pousser du col qu’à l’ombre d’Hollywood et nulle part ailleurs.
Alors certes, on peut ressentir une petite satisfaction éphémère quand on voit qu’un bon polar comme La Nuit du 12 triomphe en empochant 5 compressions ou qu’un ofni aussi hors codes, envoûtant et dénué de message idéologique lourd que Pacifiction en remporte 2, mais fondamentalement, tous ces prix n’ont aucun sens. Les remettant(e)s aux prix d’interprétation ont d’ailleurs souligné cette absurdité à leur façon en disant qu’ils souhaiteraient idéalement décerner le César à TOUS les nommé(e)s. Car qui peut dire avec certitude que Virginie Efira a été meilleure que Laure Calamy, que Benoit Magimel a été meilleur que Vincent Macaigne, que La Nuit du 12 est meilleur que L’Innocent, que le montage de A Plein temps a été meilleur que celui de Pacifiction ? Ou vice-versa ? Toute cette course aux bibelots compressés ne tient pas debout une seule seconde (Godard disait qu’on ne peut pas mesurer, comme en sport, si un film courre plus vite ou saute plus haut, et il avait mille fois raison), sauf si on accepte qu’elle ne sert qu’à faire un peu d’autopromo corporatiste pour le cinéma et à remplir une case télévisuelle le vendredi soir sur la chaine qui finance le cinéma – car tout tourne en boucle et en vase clos dans cette affaire. Question spectacle télévisuel, c’était surtout trois heures d’ennui dont on ne peut sauver que quelques bribes : le monologue d’intro assez drôle de Jamel, le retour de Catherine et Liliane, le speech électrique de Brad Pitt… On retient aussi les hommages aux grands disparus de l’année, Jacques Perrin, Jean-Louis Trintignant (belle élégie de Marina Foïs) et Jean-Luc Godard. Mais, faute de goût, les trois hommages duraient chacun deux minutes, équarris par le tempo Canal : j’ai beau admirer Trintignant et Perrin, je pense que JLG, authentique génie des soixante dernières années, aurait mérité un hommage de trente minutes minimum pour que cette soirée échappe à la routine, fasse événement et soit à la hauteur de ce qu’elle est censée célébrer : l’art cinématographique. Il n’empêche que même réduit au strict minimum, le montage des images et sons de JLG a illuminé la soirée de toute sa beauté. Au moins a-t-on échappé cette année au ridicule des revendications politiques assénées en smoking et robes du soir. Si les années précédentes, le cinéma français se plaignait d’être délaissé, ignoré, malmené par les pouvoirs publics, la productrice de La Nuit du 12 Carole Scotta a rappelé à juste titre que nous avons la chance de vivre dans un pays libre et démocratique où les œuvres peuvent être produites et diffusées en toute liberté. Au moment où l’Ukraine entrait dans sa deuxième année de bombardements, de tortures et d’exactions en tous genres, où l’Europe et les démocraties vivent leurs moments les plus graves depuis 39-45, cela méritait d’être dit ne serait-ce que pour ramener les « malheurs » du cinéma français à de plus justes proportions. Tiens, au fait, un carton annonçait au tout début de la soirée que cette cérémonie était dédiée à l’Ukraine. Sur la chaine de Vincent Bolloré, grand soutien de l’extrême-droite (volontiers poutinophile comme chacun sait), cette dédicace faisait un peu sourire jaune. Non, décidément, il n’y a rien à attendre des César, si ce n’est le règne de l’entre-soi, de l’hypocrisie, de l’artifice et du simulacre.